Jean Jung, cordonnier strasbourgeois très engagé lors de la Révolution Française, dont j’ai commencé à vous parler ici, a eu quatre enfants avec son épouse Madeleine Fuchs. Les deux aînés ont survécu à leur petite enfance et sont parvenus à l’âge adulte.
Jean, l’aîné, est né à Strasbourg le 4 décembre 1788. son frère, Chrétien Daniel, l’ancêtre de mon mari, est né le 14 septembre 1790. Quand leur père est guillotiné à Paris, le 17 juillet 1794, les deux enfants sont de tous jeunes garçons, de 6 et 4 ans. Leur mère est la fille d’un marchand de lin, décédé en 1788, et elle ne dispose probablement pas de grand chose pour assurer l’éducation et l’avenir de ses fils.
En généalogie, il est classique de remonter des pistes, et donc de découvrir le début de l’histoire après en avoir appris la fin.
J’ai su assez vite, dès que j’ai trouvé l’acte de mariage de Chrétien Daniel Jung avec Sophie Biermann, le 8 novembre 1815, que Chrétien Daniel avait servi dans le régiment du 9ème Hussards pendant le Premier Empire, puisqu’au moment de son mariage il en était pensionné suite à une blessure. J’avais trouvé sur internet le récapitulatif de son dossier de pension, qui m’indiquait qu’il avait servi un peu plus de 5 ans .
En Janvier 2013, je suis allée au SHD consulter son dossier militaire, à savoir son dossier de pension et également son dossier matricule dans le registre matricule.
Pour des raisons pratiques, j’ai d’abord consulté son dossier de pension, mais hormis la partie financière, tout est dans le registre matricule.
Chrétien Daniel, nous dit le registre, est inscrit sous le numéro 478. Il est le fils de Jean et de Magdelaine Fousse – orthographe très approximative du patronyme Fuchs, qui nous prouve que l’officier en charge de la tenue du registre n’était pas alsacien. Chrétien Daniel y est dit né à Strasbourg le 15 septembre 1790 – jusque là, j’ai confirmation d’informations que je connais déjà.
Vient ensuite la description physique, une des parties que j’apprécie dans ces registres matricules : 1m70, visage ovale, front ordinaire, yeux bruns, nez gros, bouche moyenne, menton rond, cheveux et sourcils chatains, pas de marques particulières. Il n’y a pas de quoi faire un portrait robot, mais ces quelques traits rendent le personnage plus vivant.
C’est dans les colonnes concernant la vie militaire de Chrétien Daniel que j’ai trouvé des informations qui m’ont surprise et touchée.
Il est arrivé au Corps le 22 juillet 1806, où il s’est engagé volontaire, il n’avait pas encore 16 ans révolus. Hussard à moins de 16 ans, en 1806, à cette époque où l’Europe entière attaquait les armées françaises, quel début fracassant dans l’âge adulte. Les états de services repris dans le registre nous indiquent qu’il a fait les campagnes de 1806, 1807, 1808 et 1809 et qu’il a été blessé à Wagram le 6 juillet 1809. C’est à la suite de cette blessure, alors qu’il n’a pas encore 20 ans, qu’il devient pensionné.
L’âge de la conscription sous le Premier Empire était de 19 ans, sauf engagement volontaire à 16 ans avec autorisation du tuteur légal. Chrétien Daniel, lui, n’a pas encore 16 ans révolus. Je ne sais pas qui est son tuteur légal, probablement son oncle maternel Jean Jacques Fuchs, présent lors de plusieurs événements familiaux postérieurs. A t’on fait l’impasse sur les deux mois qui restaient avant son 16ème anniversaire ? Rien dans le registre ne laisse supposer qu’il a fallu une autorisation spéciale ou qu’on était dans un cas hors norme. Il est né en septembre 1790, il s’engage en juillet 1806, où est le problème ? Décidément, notre univers est bien différent de celui de nos ancêtres.
Pour trouver dans le registre la page concernant Chrétien Daniel, j’avais utilisé l’index de fin de volume, à la page des J. J’y avais trouvé trois autres Jung, pour lesquels je suis allée consulter le détail du matricule.
Et là, portant le matricule 466, se trouvait la fiche de Jean Jung, le frère aîné de Chrétien Daniel.
Imaginez ma surprise, les deux frères s’enrôlant à deux mois d’intervalle dans le même régiment, tous deux avant l’âge de la conscription. La vie devait être bien dure chez les Jung, pour que les fils n’aient tous deux d’autre avenir que d’aller risquer leur vie sur les champs de bataille européens pour la grandeur d’un empereur issu de la Révolution qui avait pris la vie de leur père. Je deviens grandiloquente, je m’en rends compte, et pathétique, mais ce genre de destin me touche très fortement.
Le registre matricule m’apprend que Jean ressemble physiquement beaucoup à son frère, seule la couleur des yeux est différente, ceux de Jean sont gris alors que ceux de Chrétien Daniel sont bruns. Jean appartient à la 5ème compagnie et passe en 1812 au 9ème bis hussards.
Une des descendantes de Jean Jung, donc une cousine lointaine de mes enfants, a trouvé sur internet la trace du congé de réforme de Jean Jung, le 11 octobre 1812, après une blessure à la main en Espagne.
Les deux frères, Jean et Chrétien Daniel, sont revenus blessés mais vivants des guerres napoléoniennes, et ont ensuite probablement occupé des postes dans la fonction publique. Leur mère les a vu se marier, a vu naitre ses petits enfants, et je me plais à penser que cela a adouci la fin de sa vie, que j’imagine bien difficile.
Cette famille Jung me touche particulièrement, entre le père révolutionnaire, les fils hussards. Il est plus que probable que vous entendrez encore souvent parler d’eux sur ce blog.
[Chrétien_Daniel_Jung_Sosa_84]
Sources et liens
- La conscription sous le Premier Empire
- Congé de réforme de Jean Jung
- SHD – GR 2YF 54939 – dossier de pension de Chretien Daniel Jung
- SHD – GR24Yc431 et 432 – Contrôle des troupes du 9ème hussard
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