Si pour certains généalogistes, la question de la nationalité n’est jamais posée au cours de leurs recherches, pour d’autres comme moi, dans certaines branches c’est un véritable leitmotiv.
Nationalité et patronymes sont souvent hâtivement rapprochés. Combien de fois ai je entendu quand j’épelais mon nom marital « C’est de quelle origine? » J’ai toujours réussi à éviter d’insulter mon interlocuteur, mais l’envie y était. L’identité d’une personne ne se limite pas à son patronyme, lequel n’est pas porteur en soi d’une nationalité ….
La notion de nationalité française est particulièrement complexe en Alsace Lorraine.
Rappelons nous les faits :
Après la défaite française face à la Prusse, le traité de Francfort du 10 mai 1871 officialise l’annexion d’une partie importante de l’Alsace Lorraine. Une des clauses de ce traité permet aux Alsaciens Lorrains qui le souhaitent de quitter le territoire pour conserver la nationalité française. Il s’agit d’un acte administratif qui doit être accompli avant le 1er octobre 1872, soit à peine plus d’un an après le traité. Les Alsaciens Lorrains qui résident sur le territoire concerné doivent opter s’ils le souhaitent pour la nationalité française, et cette option les oblige à quitter le territoire et partir en France au sens large. C’est ce qui expliquera le départ massif d’Alsaciens vers l’Algérie à cette période. Quant aux Alsaciens d’origine qui ne résident pas en Alsace, ils doivent s’ils le souhaitent opter pour la nationalité allemande, et du coup quitter le territoire français.
S’agissant d’un acte administratif, les listes des optants sont disponibles aussi bien aux Archives Nationales que sur certaines bases de données de généalogie.
En 1870, la branche Karcher de mon époux vit en Alsace. Les trois frères Karcher, Jules Constantin, Gustave et Jean Jacques, sont industriels dans le textile à Colmar. Ils vont tous trois à ce moment crucial choisir des voies différentes.
Jean Jacques Karcher a épousé le 17 juin 1871 Anne Marie Zumstein. Plutôt que choisir entre la nationalité française et la nationalité allemande, Jean Jacques quitte Colmar avec sa jeune épouse et il part s’installer à Bâle, en Suisse, où il obtient très rapidement la nationalité suisse. C’est à Bâle que naît son fils Jean Karcher, qui deviendra un médecin suisse réputé.
Gustave Adolphe Karcher, né à Colmar le 29 mars 1831, part vers Lyon dans le milieu des années 1850. Il y est commis négociant, probablement dans le négoce familial de la soierie. En 1859 il habite St Etienne, et c’est là qu’il épouse Cécile Combe le 24 décembre 1859. Quand la guerre de 1870 survient, il habite à Lyon et n’est pas concerné par le décret. Résidant hors du territoire alsacien, il conserve la nationalité française sans avoir à faire de démarches. Accessoirement, Gustave sera plus connu comme peintre que comme homme d’affaires.
Jules Constantin Karcher est l’aîné des frères – et l’arrière grand père de mon mari. Quand son père Jean Jacques, fabricant de rubans de soie, décède le 16 septembre 1872, c’est lui qui hérite de l’usine familiale. Le 9 mars 1872, alors qu’il est âgé de 46 ans, il a épousé Marie Jeanne Jung – celle du faire part … Jules reste à Colmar et continue à faire tourner son entreprise. C’est à Colmar que naissent Christian Karcher le 28/12/1872, puis deux ans plus tard, le 22 février 1875, Daniel Karcher, le grand père de mon mari.
Jules Constantin n’a pas opté, il n’est pas parti, il est donc devenu allemand, et avec lui sa femme et leurs enfants.
Vers 1889, Jules a 63 ans et pour une raison que j’ignore – a t’il vendu son usine pour prendre sa retraite ? – il met femme et enfants dans la voiture – à chevaux – et il passe la frontière, destination Bâle. C’est là que la famille, qui a les moyens – d’où je suppose que l’usine a été vendue, et non réquisitionnée – s’installe. Le 11 novembre 1889, ils deviennent bourgeois de Bâle, ce qui leur confère la nationalité suisse. Vous suivez toujours ?
Le 7 janvier 1894, Jules Constantin décède à Bâle.
Ses deux fils, munis de leurs passeports suisses, prennent alors avec leur mère, Suisse elle aussi, la direction de Paris. Christian, qui est ingénieur, se marie fin 1903 à Paris. En 1906, leur mère Marie Jeanne décède à Paris.
Le 27 mars 1908, Christian passe devant le juge de paix du 8ème arrondissement, pour être naturalisé français. Il est recensé, et même s’il a maintenant 35 ans, il est ajouté sur les listes militaires. Son frère Daniel ne fait pas le même choix et conserve sa nationalité suisse.
Malheureusement pour Christian, en 1914, la Première Guerre Mondiale éclate. Christian a 41 ans, mais malgré tout il va être envoyé au front, dans les rangs du 237ème régiment d’infanterie. Il est tué à l’ennemi le 8 juin 1915, à Souchez.
Pour finir sur une note moins triste, la grand mère de mon mari, qui avait épousé en 1920 Daniel Karcher, avait toujours raconté à son petit fils que Jules Constantin était parti en Suisse parce qu’il ne voulait pas devenir allemand. Même après avoir remonté une grande partie de la chronologie, j’ai toujours du mal à persuader mon mari que cette fois là, sa grand mère avait légèrement déformé la réalité.
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