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B comme Bains

Ecrit par

Brigitte Billard

Publié le

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Le 5 juin 1753, Henri Devienne et son épouse Marie Thérèse Lebois Duclos, reçoivent dans leur appartement de la rue Saint Honoré à Paris pour signer le contrat de mariage de leur seconde fille, Angélique Pierrette Devienne, mineure, avec Jean Poitevin, jeune veuf, perruquier baigneur étuviste qui habite à Versailles. Assistent au contrat principalement des membres de la famille de la future épouse, et pour cause.  Jean Poitevin est en effet né à Nérac, dans la généralité de Bordeaux. Sa famille ne s’est pas déplacée.

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Mariage
Le sieur Poitevin
La demoiselle de Vienne
5 juin 1753
===
Furent presents sieur Jean Poitevin Peruquier baigneur
etuviste à Versailles y demeurant rue de la chancellerie
paroisse saint Louis, fils majeur de deffunt Henry Poitevin
bourgeois de Nerac diocèse de Condom et de demoiselle anne
Bordes sa femme ses père et mère stipulant pour lui et
en son nom d’une part
et sieur henry Etienne de Vienne directeur des postes etrangères
et demoiselle Marie Thérèse Lebois Duclos sa femme, qu’il
authorise demeurans à Paris rue Saint Honoré paroisse Saint
Eustache en leur nom et comme stipulant pour demoiselle angélique
perrette de vienne leur fille mineure demeurante avec eux à ce
présente et de son consentement d’autre part

(1)
Les jeunes gens se marient le lendemain 6 juin 1753 en l’église de Saint Eustache.
Le 13 juillet 1776, Angélique est veuve, mère de six enfants mineurs, quand elle demande la clôture de l’inventaire après décès de son époux.

Devienne vve Poitevin
Du treize dudit mois et an est comparue demoiselle angelique pierrette Devienne veuve du sieur Jean
Poitevin privilégié du Roy pour les Eaux de la Seine laquelle a affirmé véritable l’inventaire
fait tant à Paris qu’en la maison de campagne paroisse dobone dependante de la communauté cy après
datté au commencement du douze mars [.] et finy le sept may [.] a sa requete en son
nom comme commune en biens avec son deffunt mary qu’elle se réserve d’accepter ou de
renoncer, comme executrice testamentaire de son dit deffunt mary suivant son testament
datté et énoncé audit inventaire que comme tutrice de thomas joseph, Marie Etienne,
angelique sophie, cezar, charles et antoine louis barthelemy poitevin ses six
enfants mineurs et habiles a se dire heritiers chacun pour un sixieme dudit deffunt sieur poitevin
[.] presence de jean viany ancien chirurgien à paris et subrogé tuteur desdits mineurs
ledit inventaire tenu pour clos

(4)
Le barbier étuviste de 1753 est devenu au moment de sa mort « privilégié du Roy pour les Eaux de la Seine », un titre ronflant qui mérite qu’on s’attarde sur son parcours.

Jean Poitevin est né à Nérac, actuellement Lot et Garonne, le 10 octobre 1719 ou le 12 décembre 1724 (3). Ces deux jours, un jeune Jean, fils d’Henri Poitevin, maitre cordonnier, et d’Anne Bordes son épouse, a été baptisé en l’église Saint Nicolas de Nérac. Jean quitte le pays d’Albret. On le retrouve à Paris le 12 novembre 1750 lors de la cloture de l’inventaire après décès de sa jeune épouse Aimée Elisabeth Charière (2), qui lui a laissé une petite fille, Marie Anne. En juin 1753, soit deux ans et demi plus tard, il épouse à Paris Angélique Devienne. Tout cela est très banal.

Ce qui l’est moins, c’est l’idée qu’il va avoir de proposer aux bourgeois de Paris, qui ne bénéficient pas de l’eau à tous les étages et des douches chaudes à volonté, la possibilité de venir prendre un bain dans une maison de bains publics qu’il va installer sur la Seine.
Il obtient l’autorisation – le privilège – de s’installer sur la Seine par lettres patentes accordées à lui et à son épouse datées du 7 aout 1760. Ces lettres patentes vont être renouvelées trois fois au cours de sa vie, le 20 janvier 1764, le 25 juillet 1767 et le 14 juillet 1775 (6)(7)(8). Sur ses propres deniers, Jean Poitevin fait construire une péniche, une maison de bains flottante, qui utilise l’eau de la Seine, la filtre plus ou moins et la chauffe, pour offrir dans des cabines individuelles des bains et des douches …… Il est le premier à mettre en place à Paris ce type d’institution, et c’est pour cette raison qu’on retrouve des documents nombreux pour relater cette nouveauté.

Ces bains étaient des bateaux arrimés, divisés en appartements qui offraient au client une baignoire et de l’eau chaude ou froide à volonté. Ils utilisaient directement l’eau pompée dans le courant. Le premier fut créé le 13 mars 1761 par un barbier – Poitevin – près des Tuileries. Ce bateau avait un étage. Cet étage, comme le rez-de-chaussée, était divisé par une galerie qui permettait d’ouvrir, de chaque côté, sur 12 à 15 chambres de bains. Chacune était éclairée par une fenêtre donnant sur la rivière. Le second établissement de bains flottants s’établit la même année près du quai d’Anjou à la pointe de l’Ile Saint-Louis.

(5)
Le bateau est amarré en face des Tuileries, et il est dessiné sur le plan de Deharme de 1763.

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Le premier établissement ouvre le 28 avril 1761, si l’on en croit le Mercure de France de Mai 1761, qui consacre pllusieurs pages à ce nouvel établissement (9). On y apprend que le sieur Poitevin s’est assuré du bien fondé de son projet auprès de la faculté de médecine de Paris. Je me plais à penser qu’il en avait discuté avec son beau frère, Jacques Bérard. Les médecins sont unanimes, un bain de temps en temps, ca ne peut que faire du bien ….

Mercure de France Mai 1761, pages 233 et suivantes
Mercure de France Mai 1761, pages 233 et suivantes

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Le Mercure de France clot son article en se félicitant de cette innovation, qui va mettre l’hygiène à la portée de tout un chacun . Permettez moi d’en douter, l’utilisation de ces cabines de bain, à 3 livres par session, en faisait un produit de luxe, réservé aux bourgeois et nantis. La situation du bateau, à proximité d’un quartier où se construisaient de superbes hôtels particuliers, dont l’hôtel de Lassay et le Palais Bourbon, qu’on peut encore admirer aujourd’hui, en dit long sur la clientèle visée.

Hotel de lassay entree.JPG
Par VelvetTravail personnel, CC BY-SA 3.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=12455300

Notons aussi l’article consacré aux maisons de bains dans Le Nouveau Conducteur de l’Etranger à Paris, guide de voyage de 1819.

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Deux planches de l’Encyclopédie de Diderot (11) sont consacrées à cet édifice d’un genre nouveau.

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Fig. 1. Elévation extérieure, & 2. plan au rez – de – chaus – sée d’un bateau de bains publics établis à Paris sur la riviere de Seine en 1761 par Poitevin, bai – gneur.

Pl. X. & XI. A A, bains des hommes. B B, bains des fem – mes. E E, petits ponts. F F, passages. G G, escaliers pour monter au premier. H, aisances. I I, corri – dors. K, chambre de garçons. L, chambre de filles. M M, &c. chambres de bains. N N, chambres à lits. O, chaudiere. P, escalier pour descendre au fond du bateau. Q Q, pompes. R, fourneau. S, dessous du fourneau. T T, &c. baignoires. V V, &c. lits. X X, réservoirs. Y Y, lieux pour étendre le linge. Z Z, corridors du premier. & &, terrasses.

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Fig. 1. Elévation intérieure.2. Plan au premier des mêmes bains. a, logement du maître. b, logement des garçons. c, logement du concierge. d d, lingerie des hommes. e, logement de la maîtresse. f, logement des filles. g g, linge – rie des femmes. h h, fond du bateau.

Jean Poitevin, puis après lui Angelique Devienne, ont gagné très largement leur vie grâce à l’innovation et à l’audace dont ils ont fait preuve. Tous les articles citent bien sûr uniquement l’homme, le mari, Jean, mais les lettres patentes sont claires et adressées à l’homme et la femme, communs dans cette entreprise. Angélique Devienne, nommée d’après sa grand mère Anne Angélique Goret, dont le  grand père, François Lebois Duclos, avait quitté la France pour tenter sa chance dans les iles sous le vent, dont l’arrière grand père Mathurin Goret était ingénieur hydrographe dans la Marine Royale à Toulon. Les générations qui précèdent Angélique, et que je commence à mieux connaitre, lui ont probablement donné le goût d’entreprendre, d’essayer, et plus je fréquente les membres de cette famille, plus j’ai le sentiment d’apprendre à connaitre des femmes au caractère fort. Nul doute dans mon esprit que derrière la réussite affichée de Jean Poitevin, le fils du maitre cordonnier de Nérac au pays d’Albret, il y a la présence et le soutien d’une femme, d’une lointaine cousine de mes enfants.

Sources et liens
  1. Contrat de mariage de Jean Poitevin et Angelique Devienne – Archives Nationales – Minutier Central des Notaires – MC/ET/I/462
  2. Clôture d’inventaire après décès d’Aimée Elisabeth Charière – Archives Nationales – AN/Y/5317
  3. Naissance de Jean Poitevin – Archives du Lot et Garonne – BMS Nerac Saint Nicolas 1711-1720 ou 1721-1730
  4. Clôture d’inventaire après décès de Jean Poitevin – Archives Nationales – AN/Y/5329
  5. Nicolas Le Floch – Bains Flottants
  6. Archives Nationales – MIC/O/1/108 folio  22-25
  7. Archives nationales – MIC/O/1/111 folio 191
  8. Archives Nationales – MIC/O/1/122 lettre patente n°10
  9. Google Books – Mercure de France Mai 1761 – pages 234 et suivantes
  10. Google Books – Le Nouveau Conducteur de l’Etranger à Paris
  11. Gallica – Titre : L’Encyclopédie. [38], Arts de l’habillement : [recueil de planches sur les sciences, les arts libéraux et les arts méchaniques, avec leur explication] ([Reprod. en fac-sim.]) / Diderot et d’Alembert
    Auteur : Diderot, Denis (1713-1784)
    Auteur : Alembert, D’ (1717-1783)

7 réponses à “B comme Bains”

  1. Je connaissais les bains, j’ignorais qu’ils puissent être flottants.

  2. Quelle découverte passionnante et richement illustrée ! Bravo.

  3. Extra cet article !

  4. C’est passionnant cette histoire de bains publics sur la Seine. Bravo !

  5. Marine POMMEREAU

    Bravo Brigitte ! Quel bel article ! Et quelles trouvailles !

  6. Magnifique construction, ça devait être quelque chose à l’époque !

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