Aucun thème précis pour cette nouvelle participation du blog au Challenge AZ initié par Sophie Boudarel, de la Gazette des ancêtres, juste une promenade à la rencontre de personnes ou d’anecdotes rencontrées au cours de mes recherches
Dans le livre « Liste des victimes du Tribunal révolutionnaire à Paris » qu’on peut consulter sur Gallica, à la page consacrée au 29 messidor an II – 17 juillet 1794, on lit une liste de 39 personnes, condamnées et guillotinées le même jour, parmi lesquelles un certain Yung Jean, 33 ans, cordonnier à Strasbourg.
Ce Jean Yung, c’est la graphie qu’on utilise pour parler de Jean Jung, l’ancêtre de mes enfants, dans tous les actes correspondant à son procès au Tribunal Révolutionaire, ou dans des actes de procédure établis par des non Alsaciens. Pour les Alsaciens, inutile de recourir à la lettre Y pour traduire le J allemand. La prononciation <young>, écrite Jung en Allemand et en Alsace, est ainsi partiellement reprise dans les actes et les documents qui relatent la fin tragique du Sosa 168 de mes enfants.
Dans le dossier du Tribunal Révolutionnaire, que j’ai pu consulter sur microfilm aux Archives Nationales, au CARAN, on trouve un certain nombre de pièces concernant les actes d’accusation, le mémoire que Jean Jung a écrit pour sa défense, et le procès-verbal le déclarant coupable, avec la plupart des personnes passant comme lui ce jour-là en jugement.
On y trouve par exemple le rapport présenté par Rousseville et Gollier, commissaires du conseil exécutif, chargés de rendre compte de l’esprit public à Strasbourg, envoyé le 27 floréal an II au comité de salut public. Un résumé de ce rapport est repris dans L’histoire du tribunal révolutionnaire de Paris, en ligne sur Calameo.
Voici le rapport original, tel qu’il figure dans le dossier conservé aux Archives Nationales.
Liberté Egalité Fraternité
Les citoiens Rousseville et Sollier agents des Représentants du Peuple La Coste et Baudot au citoien La Coste
Il résulte des informations que nous avons prises, des découvertes que nous avons faites et des pieces que nous joignons ici : que ce n’était pas sans le plus grand fondement, que nous avions pensé que la conjuration ourdie à Paris contre la Représentation nationale et la sureté des Prisons avait jusques dans Strasbourg des ramifications dangereuses.
Tout à coup et a l’instant marqué par le chef, pour la ruine du peuple et de ses représentants ; la ligue du Rhin a été attaquée par l’Ennemi et les nouveaux Emigrés ont cherché à nous apporter une nouvelle Vendée.
La société populaire n’a plus été qu’une espèce de théâtre destiné à des lamentation sur le sort des détenus, à des pétitions en faveur d’hommes connus pour suspects par ceux mêmes qui les reclamaient, enfin à des declamations indirectes contre les mesures de rigueur prises par les braves montagnards qui ont tout fait pour la République dans ces importantes contrées.
Les Assigents( ?) ont perdu une partie de leur confiance, et il est certain qu’il a existé des assemblées nocturnes pour l’agiotage du numeraire.
Les prisons ont été agitées tantôt par des craintes tantôt par des espérances, selon l’intérêt des contre-revolutionnaires : et les communications avec l’Extérieur n’ont pu être empechées par la vigilance du general commandant la ville de Strasbourg, parce qu’il était mal secondé et les consignes mal observées.
N°1
Celui que nous regardons comme le plus coupable est un nommé Yung cy devant chargé de la distribution des cartes de civisme, d’abord mis en arrestation par un de vos arrettés, et depuis elargi par le représentant Barr sur les sollicitations de la Société Populaire.
Nous l’avons denoncé hier à cette même société comme ayant cherché à se former un parti, comme ayant des frequentations habituelles et des desseins communs avec un grand nombre d’Aristocrates decriés comme ayant signé la petition du nommé Hecht contre revolutionnaire comme connu, n’ayant aucuns moyens d’existence et ne voulant néanmoins plus travailler ; comme ayant communiqué avec les prisonniers, et ayant été trouvé avant-hier a rôder autour de la prison du nommé Reslin dans l’instant où la femme de ce dernier était entrée avec lui malgré les consignes. Personne n’a pris la parole qui pour confirmer tous ces faits, et il a été ? par un arretté dont copie a été envoyée tant à vous qu’au comité de Sureté générale de la Convention.
N°2
Le second est un nommé Voigt grande Rue n°1 qui dans sa prison de Dijon correspondait comme le premier avec Schneider et Simon et qui depuis son élargissement ne cesse d’intriguer en faveur des feuillants et du parti que les patriotes designent ici sous le nom de Langue Allemande. Il est egalement signataire de la petition Hecht, de la petition Moris, et de la petition Gerard tous contre révolutionnaires decidés.
Le troisième est Massé qui nous avait paru un des plus dangereux a cause de sa place et de sa reputation ; la société qui l’a vu avouer en partie ses torts et plusieurs membres des Autorités constituées qui l’ont connu pour patriote et qui le croient un homme qui n’a été qu’egaré et qui pourra rendre des services, s’intéressent à lui.
On voit que la correspondance que ces trois particulers avaient avec Schneider et Simon avait pour entremeteur un nommé Kienlin membre du Comité de Correspondance des Jacobins, et dont la sœur est dit on venue exprès de Paris à Strasbourg pour intriguer en faveur de Schneider, surtout dans la Société populaire où elle semblait diriger les applaudissement prodigués aux apologistes des détenus par des femmes du Tribunal.
Il faut comprendre dans la classe de ces trois hommes plus ou moins dangereux un nommé Michelot père qui a colporté par tout les pétitions precitées, qui depuis un certain temps circule sans cesse dans les rues avec des groupes d’hommes auxquels il parle avec une affectation misterieuse, et qui a souvent fait des divagations ridicules sur les représentants du peuple. Dans le sein même de la Société populaire les nommés Monnet pretre de Besançon et les deux Edelmann nécessitent aussi une surveillance toute particuliere à cause de leur influence dans la Société toutes les fois qu’elle penche vers le feuillantisme.
Mais quoique nous les soubçonnions d être aussi coupables que les autres, nous n’avons pas encore acquis contre eux des pieces de conviction.
Représentant du Peuple La montagne n’a pas en vain armé ton bras de leur foudre ; notre denonciation les pieces cy jointes, les faits publics, les renseignements que tu peux prendre des autorités constituées et de tout ce qui est connu pour aimer sincèrement la Revolution, t’indiquetont les personnes contre lesquelles tu dois la lancer. Fait à Strasbourg ce vingt deux germinal l’an deux de la République une et indivisible
Signé Rousseville – Gollier
La lecture du procès verbal de la séance est tragique. Elle consiste en un document préimprimé, dans lequel sont remplis les noms des président, juges, procureurs, des huit témoins, et des 34 accusés. Il est rapidement clair que le sort des malheureux était fixé avant même qu’ils entrent dans cette supposée salle de tribunal. Les témoins présents par exemple n’ont de rapport qu’avec quelques uns des accusés, et personne n’est là pour parler au nom des religieuses – les Carmélites du célèbre Dialogue des Carmélites, jugées au cours de cette même séance – ou au nom des Strasbourgeois jugés sur la « recommendation » de Rousseville.
Le dossier contient l’exposé des faits par Fouquier-Tinville, l’accusateur public. Voici ce qu’il écrit concernant le groupe des Strasbourgeois.
Jung, michelot père, monet, les deux Edelman
Yung, michelot Pere, monet pretre les deux Edermann sont prévenus d’avoir été les associés les principaux chefs de la faction de Schneider que la Justice nationale a frappé de son glaive les crimes de ce conspirateur. Les forfaits de ce prêtre qui sous le masque du patriotisme n’était connu des Hebert des chaumette et autres qu’un conspirateur contre la liberté et la morale publique(?) sont trop connu pour qu’il soit necessaire d’en tracer le tableau. Yung a été son partisan son complice et a partagé ses trames [?] pour détruire le gouvernement révolutionnaire c’était lui qui exalait en [?] humain les imprecations de la rage contre les représentans pendant que d’autres repetaient publiquement qu’ils avoient dejà fait leurs preparatifs de 1789. Au moment de l’arrestation de Schoeder Yung ecrivit [???] au dictateur et partageons l’honorable suplice de Schoeder lors que la vertu sucombe quiconque est épargné est un scélérat, il demandoit indirectement la mort des représentants qui avoit fait echouer toutes les trahisons toutes les conspirations formée pour livrer Strasbourg et qui avoit foudroyait un traitre qui avoit medité la perte de sa Patrie on vit yung dénoncer u representant du peuple des chefs de la garde nationale comme pouvant compromettre par leur incivisme la surete de la place de sorte qu ils sont destitues et mis en arrestation et au mois de germinal dernier yung par une contradiction dont lui seul peut rendre compte donner un certificat de conduite revolutionnaire yung mis en etat d arrestation parvint a suspendre la mise en liberté d’un représentant du peuple et ne lui s’en sert que pour exiter des troubles dans cette ville de manière qu’un autre représentant du peuple se trouve force de le reintegrer dans la maison d’arret.
Quel charabia …. Ce n’est qu’une suite d’accusations et de on-dit sans preuves, sans fait. Quelle importance, Yung est fidèle à ses convictions, qui ne sont pas celles de la faction de Robespierre, il est déjà condamné avant même le verdict.
A t’on seulement lu les mémoires que les accusés ont rédigé pour leur défense ? Tout cela est bien confus, mais ce n’est pas une surprise malheureusement. Seules trois personnes ne sont pas reconnues coupables ce jour là par les jurés, dont Michelot père, un des Strasbourgeois accusés.
Yung, Jean Jung, l’ancêtre de mes enfants, est condamné à mort, et guillotiné le même jour.
J’espérais vous proposer également la transcription du mémoire que Jean Jung a écrit pour sa défense, mais seul le microfilm du procès est consultable, pas l’original. Mes photos n’en sont pas d’une excellente qualité, et la numérisation du dossier elle-même n’est pas non plus toujours lisible.
Gageons que je vous reparlerai de Jean Jung au cours de l’année 2021.
Sources et liens
- Archives Nationales – W//421 – Tribunaux révolutionnaires et Haute Cour de Justice – Consultable sous forme de microfilm au CARAN
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