Je ne suis pas une scientifique. En conséquence tout ce que j’écris dans cet article découle de la compréhension que j’ai eue des lectures que j’ai faites. J’espère ne pas dire de contrevérités. Si c’est le cas, soyez gentil de m’en avertir.
La branche paternelle de mon mari est originaire d’Ukraine, le nom actuellement porté par une région d’Europe centrale qui fit historiquement partie de la Pologne et de la Lituanie, pour être ensuite en grande partie absorbée par l’empire russe, jusqu’à sa chute en 1917.
Le grand-père de mes enfants et ses parents, Michel Snejkovsky et Adele Kühner, ont quitté définitivement leur pays en 1918. Le pays dans lequel ils ont vécu, c’était la Russie, pas l’Ukraine. Michel était russe, et Adele, née allemande bien qu’à Odessa, parce que née d’un père ayant toujours la nationalité allemande, était devenue russe par son mariage.
Michel Snejkovsky n’était pas originaire d’Odessa. Pour autant que je sache, sa famille vivait dans les environs de la ville de Vinnistya. Michel était né dans le village de Zozov. J’ai reconstitué quelques bribes de l’histoire familiale au XIXème siècle grâce aux indexations de registres sur FamilySearch.
La famille de Michel était orthodoxe, celle d’Adele était luthérienne. Pourtant, il y avait une rumeur un peu honteuse dans la famille. Un des ancêtres Snejkovsky, mais qui ? , aurait été catholique et se serait converti à la religion orthodoxe. Un homme, une femme, quand, où, pourquoi ? Aucune de ces questions n’est actuellement résolue, et j’ai peu de chance d’en trouver la réponse.
Toute une partie d’Europe centrale et orientale, actuellement en Ukraine et dans les pays limitrophes, est peuplée depuis des siècles par les juifs dits ashkenazes, un des principaux groupes ethniques de la population juive. Pendant des siècles, ils ont vécu dans leurs communautés, se mariant entre eux, et l’endogamie de la population est particulièrement forte. Actuellement, la grande majorité des juifs américains est juive ashkenaze. C’est aussi la population qui a été le plus fortement victime de la Shoah pendant la Seconde Guerre Mondiale. Les six millions de juifs massacrés sont presque exclusivement des juifs ashkenazes.
La forte endogamie observée dans la population ashkenaze, c’est à dire le fait que pendant des siècles les habitants des villages et quartiers juifs se mariaient uniquement à l’intérieur de leur communauté religieuse, rend leurs origines génétiques assez facilement repérables quand on fait un test ADN.
Ancestry trouve ainsi environ 3% d’origines ashkenazes à mon mari.
Pour FamilyTreeDNA, il aurait environ 4% d’origines ashkenazes
Etrangement, l’algorithme de MyHeritage ne trouve pas d’origine géographique ashkenaze à mon mari. Mais dans la mesure où tous ces résultats sont extrêmement faibles, aucune conclusion sérieuse ne peut être déduite des résultats des origines géographiques.
L’approche par les correspondances est un peu plus explicite, sans permettre non plus une conclusion formelle.
Sur les 2838 correspondances – à ce jour – de mon mari sur FamilytreeDNA, la plus importante est de 35 cM, un niveau de correspondance plutôt faible. Néanmoins, sur les environ 150 correspondances de plus de 20 cM, près de la moitié ont selon FamilytreeDNA des origines juives ashkenazes supérieures à 50%.
Ancestry ne permet pas ce genre de comparaison de façon simple.
Chez MyHeritage, sur les 4011 correspondances de mon mari, 2024 ont des « origines ashkenazes » sans précision du taux.
Cela reste malgré tout trop flou pour en tirer des conclusions.
Ce sont les fonctionnalités de chromosome browser chez MyHeritage et FamilyTreeDNA qui sont l’outil le plus efficace pour m’apporter une réponse.
FamilyTreeDNA vient de sortir une nouvelle analyse, un « chromosome painting » concernant les origines de la personne. A partir de leurs bases de données statistiques, ils affectent aux différents segments d’ADN une origine géographique.
Quand j’en ai entendu parler il y a quelques semaines, j’ai souri en pensant que c’était un gadget et sans vraiment croire que ça fonctionnait.
Et puis dernièrement, je suis allée regarder à quoi ça ressemble. Voici la colorisation des chromosomes de mon mari – virtuelle, bien sûr.
Les différentes nuances de bleu correspondent à l’Europe – foncé pour l’Europe de l’Ouest, moyen pour l’Europe du Sud, clair pour l’Europe de l’Est. Le turquoise, ce sont les pays baltiques, le vert olive le Moyen Orient.
Et il y a le vert, qui correspond aux juifs ashkenazes et compte pour 3,6% dans cette coloration, là où l’analyse autosomale donnait à peu près 4%. Les ordres de grandeur sont cohérents.
Si je filtre le graphique pour ne conserver que la représentation des juifs ashkenazes, voici ce que j’obtiens.
Ces petits traits verts représentent les segments d’ADN que mon mari a reçus, via son père et son grand père, nés dans l’actuelle Ukraine, d’un ancêtre ashkenaze probablement au début du 19ème siècle.
Enfin, ca c’est ce qu’indique FamilyTreeDNA.
Impossible à partir de ce graphique de savoir quel est le chromosome paternel et le chromosome maternel. Cette information n’est pas codée sur le chromosome, avec un chromosome rose et un bleu, ou une identification quelconque. Un des chromosomes de chaque paire vient du père de mon mari – racines ukrainiennes, allemandes et italiennes, d’après le peu que je connais – et l’autre de la mère de mon mari – racines en Périgord, en Suisse, en Alsace, en Allemagne, dans le Morvan, à Paris – bref surtout de l’Europe de l’Ouest et probablement avec l’Alsace aussi des traces de racines ashkenazes.
Ce qui est compliqué avec les racines ashkenazes, et avec toutes les racines venant de populations endogames, c’est que les mariages consanguins successifs ont fortement augmenté la présence de leur ADN individuel dans l’ADN global. Cela entraine une « surreprésentation » probable, des segments qui sont un peu plus grands que dans une ascendance plus mélangée. Si vous avez 40 cM de correspondance avec une personne, sur un seul segment, ca peut remonter à loin dans le temps …
Retournons voir les correspondances dans MyHeritage.
J’ai filtré les correspondances de mon mari dont les origines indiquaient Juif ashkenaze.
Pour toutes les correspondances dont l’origine ashkenaze était supérieure à 50% – critère arbitraire mais il m’en fallait un qui me permette un certain niveau de confiance – et qui partageaient au moins 30 cM avec mon mari, j’ai peint leur correspondance précise dans un nouveau fichier sur DNA Painter, et j’ai regroupé toutes ces correspondances dans un groupe « Origines ashkenazes correspondances MH ».
Le processus est lent et fastidieux, je n’ai pas su l’automatiser.
Le nombre de correspondances partagées entre mon mari et certaines de ces personnes est absolument énorme, parfois de plus de 500 correspondances. Oui vous avez bien lu, sur 2000 correspondances ayant une origine juif ashkenaze, j’ai parfois des groupes de 500 personnes qui correspondent entre elles sur certains petits segments … C’est de façon très claire un signe d’endogamie – et d’une population vivant maintenant en Amérique du Nord, originaire de pays européens où leurs ancêtres, leurs familles collatérales, ont été exterminés, et qui cherchent des éléments pour reconstituer leurs origines au-delà des quelques souvenirs transmis.
Voici le résultat que j’ai obtenu.
J’ai ensuite récupéré le fichier de FTDNA correspondant à leur chromosome painting, et l’ai retraité pour ne garder que les origines ashkenazes. Il a fallu un peu le nettoyer pour que le format des données corresponde à celui utilisé par DNA Painter, puis je l’ai intégré. Il est figuré en bleu.
Si vous voulez consulter cette carte, vous pouvez la visualiser en suivant ce lien.
Et alors, allez vous me dire, ca veut dire quoi ce gribouillage de bleu et de vert ?
Regardons de plus près deux chromosomes, le 10 et le 16, sur lesquels les correspondances de MyHéritage se concentrent.
Voici le chromosome 10. En vert, ce sont les segments d’ADN que mon mari partage avec des correspondances ADN, de plus de 30 cM en tout, et qui ont des origines ashkenazes supérieurs à 50%. En bleu, c’est ce que FamilyTreeDNA considère comme un segment de chromosome correspondant à une origine ashkenaze.
On voit clairement que la majorité des segments partagés entre mon mari et ses correspondants d’origine ashkénaze sont inclus dans le segment bleu, plus grand, qui correspond à ce que FamilyTreeDNA considère comme de l’ADN d’origine ashkénaze.
On voit le même phénomène avec le chromosome 16, où un très grand nombre de correspondances de mon mari sont en triangulation.
J’avoue que quand j’ai constaté que FamilyTreeDNA et MyHeritage localisaient les mêmes segments d’ADN comme étant d’origine ashkénaze, en utilisant deux bases de données et deux algorithmes différents, j’ai été convaincue, à la fois de la probable pertinence du chromosome painting de FamilyTreeDNA, malgré son très grand manque de précision, et du fait que mon mari a bien, quelque part parmi ses ancêtres paternels, un homme ou une femme, né dans un village d’Europe centrale, où l’on se mariait entre coréligionnaires juifs depuis des années.
Malheureusement, ces segments d’ADN partagés par autant de personnes ne pointent pas vers un seul couple, un seul ancêtre. Les mariages endogames ont faussé la donne. Mais l’appartenance à un groupe de population précis est confirmée par ces deux analyses aux résultats comparables.
Je ne saurai probablement jamais qui est cet homme juif – j’imagine qu’il aurait été bien plus difficile pour une femme de s’affranchir à ce point – qui un jour, probablement pour fuir les pogroms, ou pour changer de condition, a décidé d’abandonner la foi de ses pères et s’est converti au catholicisme. Cet homme vivait peut-être sur un territoire polonais, et catholique. Cet homme s’est marié, il a eu des enfants et l’un d’eux, ou l’un de ses petits enfants, a épousé un jeune homme ou une jeune fille orthodoxe.
Quoiqu’il en soit, sans l’analyse autosomale que mon mari a faite, jamais nous n’aurions eu connaissance de cette histoire familiale, sur des terres et dans des périodes auxquels nous ne pourrons peut-être jamais avoir accès.
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