Pendant que sur France 3 la série Origines continue son bonhomme de chemin et se constitue tranquillement son public, on peut se demander pourquoi une des chaines de service public n’a pas encore sauté le pas pour nous proposer une « vraie » émission récurrente de généalogie.
Nos voisins anglo saxons regardent depuis plusieurs années Who Do You Think You Are – dont l’abréviation est WDYTYA, ensuite utilisée dans cet article –, qu’on peut traduire en français par « Qui pensez vous être », émission qui part à la recherche de quelques ancêtres d’une personnalité connue et en profite pour mettre en avant un aspect historique du pays concerné, ou d’un autre pays. Les versions ne sont pas totalement les mêmes selon qu’on est dans la version diffusée aux Etats Unis, ou celle diffusée au Royaume Uni – je n’ai encore jamais regardé la version australienne ou d’autres versions éventuelles -, le rythme et la présentation peuvent être différents, certaines émissions sont plus ou moins émouvantes, mais toutes sont particulièrement intéressantes.
En France, deux émissions pilotes à partir de ce même format télévisuel ont précédemment été diffusées, mais sans suite, sous le titre de Retour aux sources (1).
Pourquoi donc sans suite ? Cette question me turlupine ….
Il y a actuellement sur le service public deux émissions majeures, diffusées à quelques exemplaires dans l’année, et dont le score d’audience est toujours très élevé, même lors de rediffusions : Secrets d’Histoire et Rendez vous en terre inconnue.
Ces deux émissions nous parlent de culture de façon ludique : l’histoire de France ou d’Europe, avec moult commentaires d’historiens érudits, ou la découverte de peuplades lointaines, de régions sauvages où il est peu probable que le téléspectateur lambda mette un jour les pieds . Et à chaque fois, ça marche, ça marche fort.
Entre le temps de recherches, les autorisations à obtenir, les équipes de tournage, ces deux émissions doivent représenter un investissement financier certain. Comme elles sont désormais bien implantées dans le paysage audiovisuel, France 2 continue à en produire à un rythme régulier, c’est pour le service public un retour sur investissement assuré en une ou plusieurs fois.
Pourquoi une émission autour de la généalogie, à quelques exemplaires dans l’année, ne pourrait elle pas fonctionner ? L’essence de la généalogie, c’est une enquête sur des origines, une part de mystère que l’on cherche à lever. Que va t’on découvrir en tournant la page du registre ? Qu’y a t’il dans ce contrat de mariage ? Quel nom prestigieux, quelle histoire dramatique nous attend dans cet inventaire ? En quoi tel ancêtre dont on découvre qu’il était jardinier dans le parc du chateau de Versailles ne pourrait il pas permettre de brosser l’histoire justement de ce parc ? Inutile de descendre de Lenôtre pour en parler, n’est ce pas ? Et si on trouve un grognard dans l’ascendance, racontons la Grande Armée vue par le petit bout de la lorgnette, celui de la chair à canons que nos ancêtres ont fourni aux grands de ce monde, à leur corps défendant. Que l’on ne me fasse pas croire que ce genre de sujet ne peut pas passionner un large public. Si les téléspectateurs s’intéressent à la façon dont les Masaïis vivent, ils vont aussi s’intéresser à la façon dont nos ancêtres vivaient de la terre il y a deux cent ans. Et s’il faut pour cela passer par Melissa Theuriau pour attirer le public, pourquoi pas.
Prétendre que la production d’une émission de ce type représente un risque financier trop incertain, quand on est une chaine de service public, ca me gêne. C’est parce qu’on est sur le service public que je crois que ce genre d’émission a un public. C’est l’approche du sujet, la façon de le mettre en avant, qui va compter et faire que l’émission fait de l’audience, et devient rentable.
J’ai vu récemment sur Youtube l’émission que WDYTYA avait consacré à J.K. Rowling (2), l’auteur des Harry Potter. Cette émission est un modèle du genre. JK Rowling y part à la recherche de son arrière grand père maternel, d’origine française. Et nous voilà parti pour 50 minutes d’histoire française, oui chers amis, d’histoire française dans une émission parlant de la généalogie d’un auteur anglais célébrissime. C’est l’occasion d’explorer la 1ère guerre mondiale et les territoriaux, le cas des jeunes servantes provinciales, montées à Paris, de leur vie, des nombreuses naissances illégitimes à Paris à la fin du 19ème siècle, que vous constaterez vous aussi, juste en tournant les pages en ligne des registres de naissance de Paris, puis enfin une occasion de parler de la guerre de 1870 et de son impact sur l’Alsace. Si ce n’est pas de l’histoire de France, tout ca, qu’est ce donc ? Dans cette émission, modèle du genre, nous avons aussi l’ occasion de voir qu’on peut parfois suivre une piste erronnée, que le croisement des informations permet de rejeter, pour ensuite trouver les informations pertinentes. Quand JK Rowling, filmé dans les Grands Dépots des Archives Nationales, dit tranquillement « I don’t think this is my great grand father » – Je ne crois pas que ce soit mon arrière grand père – la généalogiste en moi a applaudi. Montrer qu’on peut suivre une piste erronnée, se poser de bonnes questions de cohérence, de croisement des informations, pour repartir sur une recherche, j’ai adoré. C’est un aspect de la généalogie, cette enquête minutieuse et cette vérification de la cohérence des sources, de toutes les sources, qui renforce le côté enquête. Et tout le monde sait qu’une bonne enquête bien menée, c’est passionnant, on suit une piste, on se trompe, on rebondit … On peut partir à la recherche de la vérité en lisant de vieux documents, et pas uniquement en relevant des empreintes digitales ou en faisant parler des ossements ou de l’ADN. Encore une fois, c’est juste un problème de mise en scène, de mise en perspective.
Contrairement à d’autres, je ne crois pas qu’une série politico généalogique permette ensuite d’arriver à une émission historico généalogique. Les publics sont différents, la conception est différente. Je ne pense pas non plus qu’on ait besoin de préparer le terrain pour la généalogie à la télévision. Il suffit qu’on trouve un format ludique. Après tout, je regarde parfois des émissions de cuisine ou de pâtisserie, de couture, ou même de rencontres amoureuses en milieu rural. Si je les regarde, c’est que la scénographie utilisée me parle, que le rythme est bien trouvé, que je suis capable de m’identifier ou de me projeter dans les personnes que je vois à l’écran, ou dans ce qu’ils vivent. Ce n’est pas le sujet qui va faire l’audience, c’est la façon dont il est traité. Le public, il est là, il regarde Stéphane Bern, il regarde ou écoute Franck Ferrand.
Nous vivons à l’ère des réseaux sociaux, sur Twitter ou Facebook on peut interagir avec les chaines de télévision. Pourquoi ne pas utiliser ces nouveaux moyens de communication pour transmettre nos souhaits au service public ? Alors, qui se lance ?
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