La Fédération Française de Généalogie, qui regroupe les associations qui ont choisi d’y adhérer, a changé en juin 2016 de président. Le nouveau président, Thierry Chestier, a accordé des interviews pour qu’on le connaisse un peu mieux. Deux d’entre elles, dans la Revue Française de Généalogie et sur le blog de Famicity, ont été publiées presque en même temps et certaines positions du nouveau président de la FFG ont interpellé les internautes, à commencer par moi.
Les deux points qui me posent problème concernent la place des services d’archives et la mise en place d’indexation collaborative.
Voici ce que je lis dans la Revue Française de Généalogie :
Q: Vous regrettez que certains services d’archives empiètent sur le rôle des associations?
R: Chacun son rôle, chacun sa place. Les Archives collectent, classent, conservent et communiquent, les associations fédèrent le travail des généalogistes et le diffusent. Je suis contre la diffusion par les services publics d’archives de bases de données de types relevés ou dépouillements. […]
Q: Vous critiquez aussi l’indexation ?
R: Je ne suis pas favorable non plus à l’indexation collaborative mise en place par certains services d’Archives. Le collaboratif, nous, les Associations, nous y sommes rompus. On sait bien que ce n’est pas à la portée de tous. Ce n’est pas parce que j’ai trouvé le nom de Pépé dans un acte du XIXe siècle que je sais lire et comprendre ce qu’il y a dans un registre paroissial.[…]
Cette prise de position du nouveau président de la FFG va très clairement à l’encontre du mouvement qu’on constate actuellement dans le monde de la généalogie : plus de collaboration entre l’utilisateur – le généalogiste – et le producteur – les archives. L’indexation collaborative est mise en place dans toujours plus de services d’archives. Elle est particulièrement mise à l’honneur en ce moment à l’occasion de l’indexation de la base des Morts pour la France de la Première Guerre Mondiale sur Mémoire des Hommes ….
Quelle drôle de position, avouez le, pour un nouveau président que d’immédiatement s’aliéner les gens même qu’il cherche à fédérer, les généalogistes qui ne sont pas encore membre d’une association, ou qui ne participent pas activement à la vie de l’association à laquelle ils cotisent.
Je n’ai pas été la seule à réagir, et Sophie Boudarel a publié un article clair et à mon sens objectif pour répondre point par point à l’article.
Un débat s’est engagé sur Twitter entre la FFG et les geneatwittos, cette espèce peu nombreuse mais virulente de généalogistes geeks, qui utilisent plus ou moins bien les dernières technologies et n’hésitent pas à clamer haut et fort sur les réseaux sociaux qu’ils font de la généalogie, et qu’ils en sont fiers. C’est une espèce en voie d’apparition, qui croit à sa liberté de pensée, de parole et d’action, et qui refuse qu’on lui déconseille quelque chose. Et quand on veut lui déconseiller d’indexer, alors que c’est justement sa tasse de thé – indexer, partager, je ne renoncerai jamais …. – sur l’air de la Reine des Neiges – ne comptez pas sur eux pour se taire. La discussion a été animée, parce qu’on ne comprenait pas comment la FFG pouvait prendre cette position.
En 2015, le président Pellan, remplacé à sa demande cette année par Thierry Chestier lors du renouvellement normal du bureau au bout des trois ans classiques de mandat, avait publié une chronique sur l’ »Ubérisation » de la généalogie. Voici entre autres ce qu’on pouvait lire.
Le modèle associatif se trouve donc mis en concurrence avec les archives en ligne, les indexations collaboratives et les indexations commerciales associées aux images.
Force est de constater que tous ces facteurs sont en train de détruire à petit feu notre existant actuel.
Il est impératif que les associations réfléchissent au modèle actuel qu’elles proposent et le fassent évoluer.
On ne peut plus se contenter de proposer des relevés de l’état civil « secs ». Nos ancêtres ont eu une vie et ils ont laissé des traces dans les archives. Celles-ci doivent être exploitées et mises en lumière et enrichir nos relevés. Lors du dernier congrès, nous vous avons montré qu’il était possible d’illustrer le relevé d’un acte avec des photos de l’ancêtre, des références le concernant (fiche matriculaire, décoration, renvoi à des articles de journaux ou à des livres, etc.) et même de le lier à la photo numérique mise en ligne par les archives.
En conclusion, les nouvelles technologies et l’évolution rapide de celles-ci nous commandent d’agir et d’imaginer d’autres schémas que ceux qui ont cours depuis plus de trente ans.
Comment en un an est on passé d’un constat clair que tout le monde partage à une « mise au ban » de l’indexation collaborative? Pourquoi s’affirmer clairement dans un magazine de référence des généalogistes contre une pratique qui a la faveur des utilisateurs et des producteurs d’archives? Pourquoi s’engager dans un combat d’arrière garde quand on est le nouveau président d’une fédération qui veut aider les associations qu’elle représente à se maintenir dans le tissu social de la généalogie ?
J’étais perplexe, vraiment perplexe …
Et soudain, au détour de mon fil twitter, la FFG m’a donné leur réponse.
Nous y sommes, voilà pourquoi la FFG a peur de l’indexation collaborative. Elle croit que cela va tuer les associations de généalogie …..
Pourtant, taper un nom dans un moteur de recherches pour tracer une généalogie, ce n’est pas vraiment l’indexation qui le permet, mais les sites de généalogie en ligne, à commencer par Geneanet. L’indexation va vous permettre de retrouver Pépé dans tel recensement ou tel registre, mais vous n’aurez pas en lecture directe une généalogie quelconque. Avec un peu de chance, vous aurez une petite partie de la famille de Pépé, une petite feuille que vous rattacherez peut être au rameau sur lequel vous travaillez. En revanche, si vous tapez le nom de Pépé dans Geneanet, vous avez une chance raisonnable de découvrir, plus ou moins exacte, plus ou moins sourcée, plus ou moins fiable, son ascendance, ses collatéraux et sa descendance sur plusieurs générations. Et pourtant, ce n’est pas Geneanet qui est désigné comme l’ennemi, celui qui va tuer les associations, non c’est l’indexation collaborative …….
Je suis perplexe …
Je suis d’autant plus perplexe que le Cercle Généalogique Poitevin – dont Thierry Chestier est le président – a confié à Geneanet, contre monnaie sonnante et trébuchante, l’exploitation des relevés de l’association, indexés dans le moteur de recherche de Geneanet, et accessible à tout membre Premium prêt à payer quelques euros de plus … Pourquoi s’en prendre alors aux services d’archives qui diffusent gratuitement des bases de données indexées par des bénévoles quand on vend soi-même une base de données relevée par des bénévoles à un site commercial ? …..
L’indexation collaborative me semble être le bouc émissaire, celui à qui on fait porter les maux qu’on ne sait pas traiter. Si on ne se débarrasse pas de l’indexation collaborative, on va mourrir …. Sus à l’ennemi – et tant pis si c’est une contrevérité, en plus d’être à contresens sur l’autoroute du progrès ….
La question centrale que veut résoudre la FFG, c’est clairement celle de la pérennité des associations fédérées. Et au lieu de chercher à se réinventer, comme le préconisait le président Pellan, elle chercherait à s’accrocher à ses sacro saints relevés de registres BMS et NMD – réalisés par des bénévoles, qui ensuite n’ont plus aucun droit sur leur travail – vendus ensuite pour assurer un budget qui va servir à …. à …. à quoi au fait ?
Pourquoi ne pas explorer d’autres pistes ?
Les généalogistes ont besoin de formation, pour commencer leur généalogie, pour progresser en paléographie, pour apprendre à utiliser des logiciels spécifiques ou non, pour aborder de nouvelles sources en dehors des classiques registres d’état civil.
Les écoles cherchent à occuper les enfants et les collégiens avec des activités extérieures, et la généalogie est une science transversale parfaite : lecture, maths, histoire, géographie, organisation, logique.
Pourquoi ne pas travailler sur l’histoire locale, avec un travail en commun, une mutualisation des connaissances, éventuellement des conférences. Le public est toujours présent pour ce genre d’événements.
Pourquoi ne pas envisager d’assurer, en accord avec les services d’archives, une présence des associations dans les salles de lecture. Je ne suis sûrement pas la seule à regretter de ne pas toujours trouver d’aide pour tel ou tel point, qui ne requiert pas forcément de déranger le président de salle. Déchiffrer un nom, demander une aide pour s’y retrouver dans un inventaire ou réserver son carton sur le logiciel maison de la salle de lecture, ce sont des missions qu’une association pourrait faire, qui lui permettrait de mettre en avant son expertise et de nouer des relations avec de nouveaux futurs membres. A la FHL de Salt Lake City, de nombreux bénévoles sont là juste pour vous aider, parfois simplement vous aider à installer le microfilm sur un lecteur de microfilm rétif …
Aussi longtemps que les associations, et la fédération avec elles, croiront que leur avenir passe par des relevés jalousement gardés comme le Saint Graal et vendus presque à contre coeur, elles continueront à perdre des membres et à se couper des nouveaux publics de la généalogie, qui y viennent parce que les archives ont mis en ligne de nombreuses ressources.
Le public a changé, le généalogiste a changé, pour survivre, il faut trouver sa place, son créneau.
L’indexation collaborative ne tuera pas les associations. Les bases de données collaboratives commerciales et les archives en ligne, même non indexées , elles, vont peut être contribuer à leur disparition, c’est possible.
Mais à l’heure actuelle, le pire ennemi des associations, celui qui va à coup sûr les tuer, c’est leur refus du changement, leur peur de se réinventer, leur absence de créativité.
C’est avec tristesse que je fais ce constat. J’aimerais trouver près de chez moi une association de généalogie qui me donne envie de m’investir et de partager les quelques petites choses que j’ai apprises. Alors j’espère que la FFG va savoir se renouveler et aider les associations fédérées à devenir attractives pour les généalogistes jeunes, vieux, anciens, nouveaux, connectés ou non connectés et que finalement cet interview nous aura permis à tous de créer un dialogue productif.
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