1832, Laurent Pelletier de Chambure meurt du choléra
Geneatech proposait en mars 2022 d’évoquer l’année 1832. Je vous propose de revenir sur l’épidémie de choléra qui sévit en France cette année là, et qui fut la cause du décès de Laurent Auguste Pelletier de Chambure, héros de l’épopée napoléonienne.
Le testament de Laurent Pelletier de Chambure
Laurent Auguste Pelletier de Chambure a laissé une trace de son passage sur terre gravée dans la pierre de l’Arc de Triomphe. Ses biographes parlent de ses actions d’éclat pendant les guerres de Napoléon, de sa condamnation à mort, de son exil puis de son retour en grâce sous la Restauration. Et tous finissent en disant que Laurent Pelletier de Chambure est mort le 11 juillet 1832 à Paris, atteint comme tant d’autres, bourgeois ou journaliers, riches ou pauvres, du choléra qui a ravagé la France cette année là.
Laurent Auguste est décédé à son domicile, au 65 rue de Lille, dans l’ancien 6ème arrondissement de Paris. Il était veuf de Helena Blydestein, morte en 1829, et n’avait encore que 43 ans. Le 13 juillet 1832, il est inhumé au cimetière du Père Lachaise, dans une tombe qui fait partie des tombes « historiques » du cimetière. Je vous avais raconté comment j’avais retrouvé qui était inhumé avec lui.
Combien de temps Laurent a t’il été malade ? L’incubation du choléra est rapide, quelques jours tout au plus. Le choléra est arrivé à Paris fin mars 1832, et les morts se comptent par milliers, et pas seulement dans les quartiers populaires. Casimir Perier, président du Conseil depuis mars 1831, un des premiers personnages de l’Etat, en meurt le 16 mai. Le général Lamarque, soldat de la Révolution et de l’Empire, qui a probablement côtoyé le jeune Laurent Augustin pendant la guerre d’Espagne, en 1812, en meurt le 5 juin. Est-ce cette mort qui a poussé Laurent Pelletier de Chambure à mettre en ordre ses affaires, et à écrire son testament ?
Le 12 juin 1832, Laurent Augustin rédige son testament, et la vie déjà épique de cet homme prend une tournure encore plus romanesque.
Dans le cas où je viendrais à mourir, je prie madame Daru de décacheter ce papier et de remettre ce qui est inclus à qui de droit.
Paris le 12 juin 1832.
Le colonel de Chambure
La lecture du testament réserve une grosse surprise et quelques belles découvertes, un peu comme une promenade dans une galerie de portraits de dignitaires de l’Empire.
1 Ceci est mon testament
2 Je lègue après ma mort en toute propriété tout ce que je possède
3 à mademoiselle Louise, Laurence, Augustine, née le 10 février
4 1825, enregistrée à la onzième mairie le 11 du dit mois de février
5 1825; laquelle a été baptisée à St Roch le 11 janvier 1830 suivant
6 l’acte, le Général Baron Merlin lui servant de parrain, et
7 madame la Baronne Elisa Merlin née Gohier lui servant
8 de marraine : ce que je possède est détaillé ci-dessous
Louise Laurence Augustine, la fille naturelle de Laurent Augustin
Qui donc est cette Louise Laurence Augustine qui va hériter de tous les biens du testateur ? Pourquoi n’a t’elle pas de patronyme ? Remarquez les prénoms qu’elle porte : Laurence, Augustine, la version féminine de Laurent Augustin. Les registres d’état civil de Paris en 1825 sont détruits, mais j’ai pu obtenir de la paroisse actuelle de Saint Roch l’acte de baptême de Louise. L’année 1830 fait partie des registres conservés à l’église.
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Louise Laurence Augustine
L’an 1830 le onze janvier a été baptisée par nous soussigné Louise
Laurence Augustine, née le 10 février 1825 chez la dame Marie
Jeanne Duvalet femme Neu, sage femme, demeurant rue Cassette
n°8, de père et mère non désignée. Le parrain a été monsieur
le baron Antoine François Eugène Merlin, maréchal de
camp, rue Taitbout n°27; la Marraine dame Louise
Jeanne Madeleine Gohier, épouse du parrain, lesquels ont
signé avec nous
L’enfant est née de père et de mère non désignée rue Cassette à Paris, du côté de Saint-Sulpice. Que le père soit non désigné, c’est commun mais la mère inconnue – ou plus exactement non dénommée – c’est moins fréquent. Les parrain et marraine de la petite fille sont des amis proches de Laurent Pelletier de Chambure : Antoine François Eugène Merlin, et son épouse, Elisa Gohier. Notons aussi que le baptême a lieu presque cinq ans après la naissance de l’enfant, ce qui est assez rare à l’époque.
Laurent Pelletier de Chambure ne reconnait pas l’enfant – elle ne porte pas son nom, ne porte en fait aucun patronyme – mais elle n’a pas non plus été abandonnée à la naissance. Il est assez évident qu’il s’agit de sa fille naturelle, qu’il a probablement eu avec une femme mariée – et alors qu’il était encore marié lui-même avec Helena Blydensteyn. Helena est morte le 17 décembre 1829 et moins d’un mois plus tard l’enfant est baptisée. Il est difficile d’y voir une coïncidence, mais plutôt à mon avis une reconnaissance sociale de l’enfant. L’épouse de Laurent Augustin ne sera plus humiliée de son vivant, ou l’objet des commérages de la bonne société, l’enfant peut avoir une existence quasi officielle en recevant le baptême et la protection de personnages assez importants.
Eugène Antoine François Merlin et son épouse Louise née Gohier
Le nom du général Merlin est gravé sous l’Arc de Triomphe.
Il naît le 27 décembre 1778 à Douai, fils aîné de Philippe Antoine Merlin, avocat renommé, et de Brigitte Dumonceaux. Son père est un homme politique, membre de l’Assemblée nationale constituante et député du Nord, qui sous l’empire est anobli au titre de Comte d’Empire.
Eugène Antoine – ou Antoine Eugène comme on le trouve parfois – rejoint l’armée à 14 ans, en 1793, dans l’état-major du général Cambray, qu’il suit à travers toutes les guerres de la Révolution. En 1797, tout jeune capitaine de 19 ans, Bonaparte le nomme pour être son aide de camp, et c’est dans les pas du jeune général qu’il participe à la campagne d’Egypte. Il participe à toutes les campagnes de l’Empire et devient général de brigade en juillet 1813.
Après Waterloo, il doit quitter la France, comme son père qui est également proscrit au moment de la Restauration.
Il est finalement acquitté en février 1821 et réintégré dans la carrière militaire après la révolution de juillet 1830.
En juillet 1806, aux Pays-Bas, il avait épousé Louise Jeanne Madeleine Gohier, fille de Louis Gohier, membre du Directoire.
Quand et où Eugène a t’il rencontré Laurent Augustin, je l’ignore encore. Les deux hommes ont dix ans d’écart, et des parcours militaires similaires. Tous deux sont des officiers proches de Napoléon, qui lui sont loyaux jusque dans la défaite, et doivent quitter quelques années la France.
Les deux officiers sont suffisamment proches et amis pour que Laurent Augustin Pelletier de Chambure fasse appel à Eugène Merlin et son épouse pour devenir parrain et marraine de sa fille naturelle non reconnue, puis d’en faire son exécuteur testamentaire et de lui confier l’avenir de son seul enfant.
Le patrimoine de Laurent Pelletier de Chambure au moment de son décès
Le testament de Laurent Augustin détaille son patrimoine.
9 1° le chateau et propriété de la guillonnière commune de
10 Cour-Cheverny arrondissement de Blois. J’ai acquis cette propriété
11 de madame veuve Diriol suivant acte passé devant Me Couverchel
12 notaire à Cour Cheverny, et je la lui ai payée, les quittances
13 sont dans mon portefeuille, les titres sont déposés chez
14 Me Couverchel à Cour-Cheverny.
15 2° la propriété de la petite sensinière attenante à ma
16 propriété de la guillonnière, j’ai acquis cette propriété de
17 la veuve moté et je la lui ai payée, les titres sont également
18 chez me. Couverchel
19 3° de sommes placées chez mmr heilmann et cie montant à environ vingt
20 mille francs les titres et reçu et le compte courant du premier janvier
21 1832 sont dans mon portefeuille cet argent est placé à 6 %
22 4° de mon mobilier de paris et de la guillonnière, de mon linge,
23 habillement, bijoux, tableaux, chevaux voitures et enfin tout ce que
24 je possède
Laurent Augustin est propriétaire de deux biens immobiliers, situés à Cour-Cheverny, dans le Loir-et-Cher : le château et les terres de la Guillonnière, et la propriété de la petite Sensinière. J’ai localisé les deux propriétés, mais le château de la Guillonnière semble ne plus exister.
Il détient aussi un capital plutôt important, qui est placé.
Tout son patrimoine, aussi bien à Paris qu’à Cour-Cheverny, va faire l’objet d’un inventaire approfondi fin juillet 1832.
Le quart de cette fortune doit revenir à la mère de Laurent Augustin Pelletier de Chambure, Elisabeth Pioret, qui vit à Sète (Cette) dans l’Hérault. Et tout le reste doit revenir à la petite Louise Laurence Augustine, qui n’a encore que 7 ans.
25 Je désire qu’après ma mort tout soit vendu et placé
26 le mieux possible dans l’interêt de Laurence pour subvenir aux frais
27 d’une bonne éduction et lui assurer un établissement; je m’en
28 rapporte pour cela à mon ami le Général Merlin
(2)
1 en donnant en toute propriété ma fortune à Louise laurence
2 augustine
Le général Merlin devient le tuteur de l’enfant, dont il est déjà le parrain, et va s’occuper de vendre les immeubles, de verser les legs particuliers puis d’administrer le patrimoine de l’enfant en veillant au mieux à son éducation.
Des legs particuliers pour quelques membres de la famille et les amis très proches
Le reste du testament concerne quelques legs qui sont faits à certaines personnes de l’entourage proche de Laurent Augustin.
En 1832, sa mère est toujours en vie. Ses deux sœurs ainées, Marie Angélique Elisabeth et Marie Anne Huguette, sont décédées, mais leurs enfants sont encore vivants.
Laurent a cinq neveux et nièces nés du mariage de sa soeur Marie Angélique Elisabeth Pelletier de Chambure avec le général et baron d’Empire Benoît Hilaire Reynaud :
- Pierre Marie Hilaire Reynaud, 26 ans
- Louis Barthélémy Reynaud, 26 ans
- Anne Honorine Reynaud, 17 ans
- Charles Joseph Reynaud, 15 ans
- Marie Pauline Reynaud, épouse de Timoléon Brun
et une nièce, Marie Sophie Liquière, 13 ans, née du mariage de sa soeur Marie Anne Huguette Pelletier de Chambure avec Guillaume Liquière, médecin.
Pourtant, seuls deux de ses neveux reçoivent un legs.
2 […] je lègue à mon bien aimé neveu Louis Reynaud ma
3 montre à répétition de laresche.
4 à ma bonne nièce pauline, madame Brun, un beau schal en
5 blonde noire, et un collier, bracelets boucles d’oreilles et boucle de ceinture
6 en acier : je lui donne ces objets comme souvenir de ma tendre amitié
7 pour elle.
Les autres legs sont faits pour ses amis les plus proches, Louise Daru et son fils Charles, les époux Merlin et son oncle Louis Mathurin Pelletier de Chambure, le beau-père de son épouse.
8 Je lègue à ma bonne amie madame Daru, une petite montre de
9 laresche avec une chaine en or émaillée que je portais habituellement
10 la priant avec instance de la porter toujours pour l’amour de moi; ces
11 objets lui rappelleront le souvenir tendre et affectueux d’un homme
12 qui a toujours eu un attachement véritable, attachement qui j’espère
13 ira au dela du tombeau, je lui lègue mes droits sur laurence la
14 priant de faire tout ce qu’elle pourra pour elle, je connais ma
15 bonne amie, madame Daru, et je suis sur qu’elle aura égard à
16 ma recommandation. Je lègue également à madame Daru une
17 bague (dite bonne foi) que je porte ordinairement au doigt ces bagatelles
18 sont un bien léger souvenir de mon amitié pour elle
19 Je lègue à Charles Daru pour lequel j’ai toujours eu
20 beaucoup d’amitié mon fusil a deux coups de la page ainsi que la
21 caisse qui le renferme; qu’il se rappelle mes conseils ils étaient
22 désintéressés et qu’il n’oublie jamais qu’il avait en moi un
23 véritable ami … la conduite de son frère doit le porter
24 naturellement à une conduite honorable l’existence de sa
25 bonne mère en dépend.
26 je lègue à madame merlin un schal noir cachemire
27 français, je la pris d’accepter ce léger souvenir comme une preuve de
28 ma vive amitié pour elle, je lui recommande Laurence, madame
29 Daru se fera un plaisir de s’entendre avec elle pour diriger cette
30 jeune personne.
31 Je lègue à mon oncle L.M. de Chambure le portrait de ma
(3)
1 femme peint par Steuben, je crois n’avoir rien à lui laisser qui
2 lui soit plus agréable
3 Je lègue à mon ami le général merlin mon épée avec
4 le portrait de l’empereur sur la coquille, cette épée me fut
5 envoyée à bruxelles par le brave général Dumoustier lors
6 de ma condamnation à mort, comme gage de son estime
J’ai imaginé un moment que madame Daru, à qui il confie son testament, aurait pu être un peu plus qu’une amie … Mais j’ai pu retrouver son identité et je leur laisse le bénéfice du doute.
« Madame Daru » est née Charlotte Xavière de Froidefond du Chatenet, née le 2 mars 1783 à Paris, morte à Paris le 2 mai 1854. Elle épouse le 29 septembre 1806 à Paris Martial Noël Pierre Daru, intendant de l’Empire dans les provinces. Martial Daru était un cousin de l’écrivain Stendhal, né Henri Beyle. Les Daru insistèrent pour que leur cousin Beyle entre au Ministère de la Guerre, et c’est avec Martial qu’en 1800 Beyle découvrit l’Italie, source de l’inspiration future de Stendhal. Stendhal mentionne parfois Charlotte Daru dans ses écrits, sous le nom de Madame Chancenie, du nom d’une terre appartenant à sa famille, ou de la belle madame Martial.
Charlotte de Froidefond et Martial Daru ont trois enfants :
- Napoléon Jerôme Frédéric Pierre Martial, né en 1807
- Nathalie Catherine née en 1809
- Charles Martial né en 1816 et qui a environ 16 ans en 1832
Le testament précise qu’Eugène Merlin sera l’executeur testamentaire. Un mois plus tard, Laurent Augustin attrape le choléra et son nom rejoint la longue liste des victimes de l’épidémie.
Mais grâce à ce testament qui raconte une vie hors de l’ordinaire, grâce aux inventaires après décès, j’ai pu retrouver d’autres éléments de la vie de ce militaire connu pour son héroïsme, une vie qui mérite qu’on la raconte encore un peu.
Sources et liens
- Archives Nationales – Minutier Central des Notaires de Paris – Etude de maitre Dessaigne – MC/ET/LXXXIII/818
- Gazette Drouot – Vente de bijoux et montres – Lot n°34 – Réveil de table signé Laresche vers 1825
- Geneanet – Geneastar- Arbre généalogique d’Eugène Merlin
- Wikipedia – Eugène Antoine François Merlin
- Wikipedia – Philippe Antoine Merlin de Douai
- Wikipedia – Famille Daru
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