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Scellé du grand sceau de cire jaune

Ecrit par

Brigitte Billard

Publié le

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Je me suis rendue cette semaine pour la première fois à l’hôtel de Soubise, où se trouvent les Archives Nationales pour la période de l’Ancien Régime et le Minutier Central des Notaires parisiens. En généalogiste expérimentée que je suis – prendrais je la grosse tête ? – j’avais préparé mes recherches et commandé certaines cotes. J’avais trouvé sur internet les références de quelques actes notariés  concernant Gratien Landes, mon chirurgien parisien du 18ème siècle, et Hugues Pelletier de Chambure, son gendre ou le père de son gendre. J’imagine que plus encore qu’aujourd’hui, les gens avaient recours autant que faire se peut à un seul et même notaire. Le but était d’essayer de retrouver ce notaire à travers les actes déjà ciblés, et ensuite, quand je le connaîtrai,  de trouver dans les minutes de son étude les actes principaux concernant la vie de Gratien Landes : son décès, son mariage, bref quelque chose qui me permette de débloquer ce rameau.

Je reviendrai sur certains des actes que j’ai eu entre les mains, il y a beaucoup à raconter.

Pour l’instant, concentrons nous sur le premier acte que je viens de retranscrire patiemment, mot à mot, parfois lettre à lettre, et de temps en temps en relisant ma transcription à voix haute. Merci encore à Pierre Valery Archassal pour tous ses si précieux conseils.

Déchiffrage d'un acte lors du stage de paleographie organisé par la RFG
Déchiffrage d’un acte lors du stage de paleographie organisé par la RFG

Il s’agit d’une lettre de provision d’office, par laquelle un certain Vivant-Simon Moreau reçoit la charge de Procureur du Roi dans la bonne ville de Saulieu.  Le sieur Moreau succède dans les fonctions de procureur royal au sieur Pelletier de Chambure, et je pensais en récupérant l’acte avoir des informations inédites sur les de Chambure.

Dans la famille Pelletier de Chambure, on est dans l’administration royale depuis les origines, semble t’il, du moins aussi loin qu’on remonte. Le premier à avoir accolé le nom supposé d’un fief « Chambure » impossible à localiser sur les cartes de l’époque autour d’Alligny en Morvan ou de Montsauche les Settons, c’est Mathurin Pelletier (1623-1692) , dit de Chambure comme l’indique son acte d’inhumation. Il est conseiller du roi et contrôleur au grenier à sel de Saulieu et après lui, à chaque génération, un des fils au moins sera dans l’administration royale, puis dans l’armée.

Quelles informations purement généalogiques ai-je donc obtenu au bout de mes heures de transcription ?

Pas grand chose concernant les Pelletier de Chambure en fait … J’ai juste compris que l’acte ne concernait pas le Hugues que je croyais, mais son père, lequel a cédé son office à un presque étranger à l’âge de 58 ans. Je viens de comprendre que c’est dans l’acte notarié de cession de cette charge, passé à Saulieu le 27 juin 1749, que j’aurais eu plus de renseignements biographiques sur le cédant.

10 …..nous lui avons
11 donnée et octroyé donnons et octroyons par ces presentes
12 l office de notre con[seiller] procureur pour nous au baillage et chancellerie de Saulieu en bourgogne
13 que tenoit et exercoit hugues Pelletier de chambure dernier
14 titulaire qui sen est volontairement demis en faveur dud[it] S[ieur]
15 Moreau par acte passé devant notaire le 27 Juin dernier qui en
16 consequence a payé en nos revenus casuels le quartdenier
17 à nous deus suivant la quittance du S[ieur] Bertin tresorier (.)
18 dont copie collationnée et cy attaché sous le contro[le] de notre
19 chancellerie …..

Qu’à cela ne tienne, la lecture de cet acte m’a rappelé à quel point la France a un grand et lourd passé dès qu’on parle de droit, de finances et d’administration. Prenez ça comme vous l’entendez, je ne suis pas sûre moi même d’en être fière ou attristée.

Le vocabulaire typiquement juridique qui déroute le citoyen moyen en face d’un acte juridique encore de nos jours, il est là partout dans cet acte … Quant aux impôts et taxes, qui les oublierait? Sûrement pas l’administration royale de Louis XV, parfaitement implantée partout en France.

En haut de l’acte, nous avons le récapitulatif des différentes taxes et frais versés au Trésor Royal ou au notaire en rémunération de son travail :

En tête de la lettre de provision d'office de Vivant-Simon Moreau
En tête de la lettre de provision d’office de Vivant-Simon Moreau

1d quartdenier 219
2d marc d or 215
3d sceau 80
4d honoraires 48

  • Le quart denier, c’est la taxe prélevée par le roi sur la vente des charges de judicature ou de finances. Elle représente le quart du montant de la vente. En l’occurence, les 219 livres de quart denier payées ici signifient que Hugues Pelletier de Chambure a vendu son office pour 876 livres taxes incluses. A titre de comparaison, à la même période, Gratien Landes loue une maison de deux étages et 8 pièces, sise à Paris, pour une somme annuelle de 600 livres. Ce n’est donc pas lors de la vente de leur charge que les officiers royaux devenaient riches, mais bien lors de son exercice.
  • Le marc d’or, c’est la taxe payée par le cessionnaire, celui à qui la charge est conférée. Ce droit est considéré comme une « espèce d’hommage et de reconnaissance que les nouveaux officiers rendent au roy lorsqu’ils sont pourvus de leurs offices, à l’effet d’obtenir les provisions ». Elle est acquitté au moment où le serment est prêté. Précisons que l’acquisition d’un office ne confère en aucun cas la noblesse, les Pelletier de Chambure et les Moreau n’ont jamais été nobles sous l’Ancien Régime. La noblesse de robe était loin d’être systématique.
  • Le sceau, c’est la marque de l’authenticité de l’acte. Comme nos anciens timbres fiscaux, il est bien sûr payant. Il y a deux éléments dans le sceau. En premier lieu le sceau lui même, rond ou ogival, grand ou petit, officiel ou personnel. Ensuite, il y a la couleur de la cire, particulièrement signifiante. Une erreur de couleur, et voilà le sceau fichu, et l’acte avec lui . Ici, le document est « scellé du grand sceau de cire jaune« , ce qui signifie que c’est un document royal – aujourd’hui on dirait un document d’état, puisque la République française a toujours un Grand Sceau Officiel, qui a par exemple servi à sceller la constitution de 1958 – et qu’il s’agit d’un mandement ou d’un acte administratif, comme la couleur jaune l’indique. L’apposition de ce sceau coûte dans notre acte 80 louis, une somme non négligeable.
  • Les honoraires enfin, parce qu’il faut bien rémunérer le travail du notaire qui vient de faire l’acte, à la main, en plusieurs exemplaires. Il faut payer le papier, l’encre, la plume, et les études longues que va faire le fils qui prendra la succession … Les choses n’ont pas changé sur ce plan non plus.

 

Le texte de l’acte est bâti sur un modèle classique pour les provisions d’office, dans un style bien particulier où les louanges et répétitions foisonnent.

19 … pour led[it] office avoir tenir et dorenavant exercer en jouir
20 et user par led[it] S[ieur] Moreau aux honneurs autorités prérogatives
21 preeminences privileges pouvoirs fonctions exemptions gages
22 droits fruits proffits revenus et emolumens aud[it] office app[artenant] …

Mais dans cet acte, il y a une particularité intéressante. Rappelons nous le contexte : nous sommes à Saulieu, petite cité du Morvan d’un peu moins de 3 000 habitants. C’est le siège d’un baillage et d’un gouvernement particulier, où il est évident que tous les notables se connaissent et sont alliés à des degrés divers. Et c’est le cas pour Vivant-Simon Moreau, qui au moment où il prête serment est déjà le beau-frère du Sieur Jean Monnot, Lieutenant particulier. Or la loi exige une dispense pour que deux parents ou alliés soient membres du même conseil, et tout ceci est précisé dans l’acte.

33 … et quil nait aud[it] siege aucun parent ny allie aux
34 degrez prohibez par nos reglemens autre que le S[ieur] Jean Monot
======================
1 Lieutenant particulier son beau frère duquel degré d’alliance
2 nous l avons relevé et dispensé par nos lettres du _ [octobre] cy (..)
3 (.) attaché a peine de perte dud[it] office nullité des presentes et de sa
4 reception a condition que venant aux opinions avec led[it] S[ieur] Monot son
5 beau frere leurs voix se trouvant uniformes les deux ne seront comptés
6 que pour une …

Vivant-Simon et Jean vont donc pouvoir siéger ensemble, mais pour éviter toute alliance illicite ou toute prise d’intéret, s’ils ont sur une affaire un vote identique, leurs deux voix ne seront comptées que comme une …. Là j’avoue que j’ai été étonnée. Mais à y réfléchir, quelle importance si au niveau des cités on évite qu’une entente familiale mette la main sur le pouvoir quand toute décision est en fait dans les mains du seul roi de grâce divine …

Je viens donc de passer deux jours à travailler sur un acte qui ne m’a strictement rien appris sur mes recherches généalogiques, mais beaucoup sur la fonction publique française. Si je continue ainsi à m’égarer sur des chemins de traverse, je n’arriverai jamais au bout de ma généalogie, c’est sûr … Attendez,  de toute façon je n’arriverai jamais au bout de cette quête sans fin dont le seul vrai interêt réside dans les découvertes que l’on fait en chemin. Alors oui, Vivant-Simon Moreau n’est qu’un collatéral quelque part loin dans l’arbre de mon mari, qui six ans après avoir racheté la charge d’Hugues Pelletier de Chambure a épousé sa nièce – petite ville, je vous dis. Mais sans lui, je n’aurais pas découvert ce qu’était le quart denier, le marc d’or ou pourquoi la couleur de la cire et la taille du sceau sont tellement importants.[divider_line]

Sources et liens
  • Provisions d’offices 1720-1790 – CARAN  – MIC/V/1/361/pièce 298
  • Crédits photos : Revue Française de Généalogie sur Facebook
  • Olivier Zeller , « Jean NAGLE, Le droit de marc d’or des offices. Tarifs de 1583, 1704, 1748. Reconnaissance, Fidélité, Noblesse, Genève, Librairie Droz, 1992, 277 p.  », Cahiers d’histoire [En ligne], 41-3 | 1996, mis en ligne le 14 mai 2009, Consulté le 23 février 2013. URL : http://ch.revues.org/index244.html
  • Jean Nagle. Le droit de marc d’or des offices, tarifs de 1583, 1704, 1748 : reconnaissance, fidélité, noblesse. Préface de Daniel Roche. Genève : Droz, 1992. In-8°, IV-277 pages. (Travaux d’histoire éthico-politique, 52.), Bibliothèque de l’école des chartes, 1994, vol. 152, n° 1, pp. 245-247.

url :http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/bec_0373-6237_1994_num_152_1_450730_t1_0245_0000_001


6 réponses à “Scellé du grand sceau de cire jaune”

  1. Brigitte

    Tu as remarqué comme je suis une bonne élève 🙂 J’ai aussi compris qu’il faut repérer dans des mots qu’on lit les lettres inhabituelles. Les provisions d’office sont microfilmées a priori, moins sympathique que des papiers, mais du coup beaucoup plus rapide en accès
    A demain

  2. Bonjour Brigitte, très intéressant et nous revoilà en terre morvandelle…je vais me replonger dans ma généalogie(que je néglige un peu en ce moment…) et dans cette branche Monot qui a aussi des ramifications du coté de Saulieu …
    Dans tous mes cas, bravo c’est une très belle recherche très instructive et très plaisante à lire !

    1. Brigitte

      Merci Anne
      Depuis que j’ai commencé à travailler sur cette branche, j’essaie de persuader mon mari de partir à la rencontre de ses ancêtres en Morvan. Il faudrait que je me plonge dans toutes les branches collatérales, il y a des trésors à y découvrir …. comme partout

  3. Bonjour Brigitte,
    Ton article est passionnant et fort bien documenté. J’ai reconnu au passage les recommandations de P. V. Archassal sur la transcription des actes : numérotation des lignes, respect des majuscules et minuscules, conventions pour les abréviations :))
    Il va falloir que je programme une visite à l’hôtel de Soubise car j’ai moi aussi une lettre de provision d’office qui m’y attend.
    Et je suis tout à fait d’accord avec toi, en généalogie ce qui compte, ce n’est pas le but (lequel, d’ailleurs ?) mais le chemin.

  4. Bonjour,
    Tu n’as peut-être pas fait de découvertes généalogiques « pures », mais, en tout cas, j’ai appris beaucoup en lisant ton article sur le fonctionnement des cessions de provision de charge.
    C’est aussi là l’intérêt de la généalogie (à mon sens), c’est de nous (ré)intéresser et de redécouvrir l’histoire, nous faire comprendre le fonctionnement de la vie quotidienne.
    Merci beaucoup pour ton article.
    Toujours aussi intéressant.
    Bon dimanche

    1. Brigitte

      Merci Benoit, moi aussi j’ai appris beaucoup de choses, j’adore me plonger au détour des actes que je trouve dans toute cette histoire. Ca ne fait pas avancer ma généalogie pure, mais moi ca m’enrichit.
      Bon dimanche et bon anniversaire à ton blog

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