Aucun thème précis pour cette nouvelle participation du blog au Challenge AZ initié par Sophie Boudarel, de la Gazette des ancêtres, juste une promenade à la rencontre de personnes ou d’anecdotes rencontrées au cours de mes recherches
C’est au Moulin de Grais, à Vieussan, dans l’Hérault, que je vous emmène aujourd’hui pour faire la connaissance de Claire Boissezon, arrière arrière grand mère de mon grand père, qui y a vécu après son mariage en 1812 jusqu’à la mort de son mari en 1867.
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Le masage de Boissezon
Claire est née à Vieussan, petit village de la vallée de l’Orb, très précisément dans le masage de Boissezon, devenu ensuite un village.
Claire Boissezon, née dans le hameau de Boissezon ? Il est très probable que le nom de la famille vienne du lieu du masage où elle habitait.
Un masage, dans les pays de langue occitane, c’est un hameau, distinct du bourg, regroupant quelques maisons, quelques fermes qu’on appelle des mas.
A Vieussan, petite paroisse située dans un des méandres de l’Orb, il y a plusieurs masages distincts : le Pin, le Lau, Drouilhe, et de l’autre côté de la rivière : Boissezon.
Sur le compoix de Vieussan pour la période 1676-1679, le nom du masage est écrit « Bouicezou » et on y trouve les noms de Pierre, Jean et Antoine Bouicezou/Boissezon, les héritiers de Massel/Marcel Boissezon ; les héritiers non nommés individuellement de François Boissezon; les héritiers de Guilhe/Guillaume Boissezon; Pierre Fouilhe; Guilhaume Ortala; Estienne et André Boissezon, frères; Antoine Boissezon; tous propriétaires et habitant le masage de Boissezon.
Parmi eux, Estienne/Etienne Boissezon, et François Boissezon sont les ancêtres directs d’Antoine Boissezon, le père de Claire. Les autres sont des parents, plus ou moins proches.
Les racines de Claire sont majoritairement de Vieussan, comme le montre son arbre par lieu de naissance.
Une enfance à Boissezon
Les parents de Claire, Antoine Boissezon et Marie Rose Fouilhe, se marient le 10 novembre 1788, à l’église Saint Martin de Vieussan. Le matin du même jour, dans la maison des parents d’Antoine, les deux familles se sont réunies pour signer les pactes de mariage, en présence de Guillaume Sabatier, le notaire de Roquebrun. Par ces pactes de mariage, Pierre Boissezon donne tous ses biens à son fils Antoine, à la condition qu’ils vivront ensemble dans la maison de Pierre, qui va donc devenir la maison d’Antoine, « à même pot, feu et table ». Le grand père, Antoine, vit aussi dans la même maison, et prend part au contrat. Tout y est prévu, en cas de désaccord, en cas de survie de la mère, en cas de décès du mari. Antoine, le jeune marié, est également chargé d’assurer la dot et l’établissement de Pierre, Claire et Rose, ses frère et soeurs plus jeunes.
C’est donc une maison bien remplie dans laquelle vient au monde Claire, le 12 prairial an III. Une maison dans laquelle une autre tante, Marie, est née en 1789, et un dernier oncle, le petit dernier de Pierre et Marianne Boissezon, Joseph, en 1795. Il y a 29 ans d’écart entre Antoine, l’aîné, le père de Claire, né en 1766, et Joseph le dernier né. 29 ans et 10 enfants mis au monde.
C’est maintenant au tour de Marie Rose d’assurer la postérité de la famille Boissezon. Je retrouve sept naissances dans la famille, entre 1790 et 1806, dont quatre filles seulement pour lesquelles j’ai retrouvé une postérité.
- Le 26 décembre 1790 est baptisée Marie Anne, née le 24 – pourquoi ne l’a t’on pas appelée Noëlle comme souvent dans ce cas de figure – qui à 19 ans épousera un jeune veuf à peine plus vieux qu’elle. Sa marraine est sa grand mère paternelle, Marianne Boissezon
- Vers 1793 naît Rose, enfant retrouvée à travers son acte de décès le 25 germinal an VIII à l’âge de 7 ans
- Le 12 prairial an III, c’est Claire qui naît dans la maison de ses parents, à Boissezon.
- Le 28 fructifor an V une petite Marie s’ajoute à la famille., qui aura une postérité
- Le 25 prairial an VIII nait une nouvelle fille, qu’on prénomme Catherine, et dont je n’ai pour l’instant pas retrouvé d’autre trace
- Le 12 prairial an XII Marie Rose met au monde un garçon, probablement très attendu, qu’on appelle Antoine comme son père, et qui meurt le 11 pluviose suivant, à 8 mois seulement
- Le 23 avril 1806, c’est enfin Victoire Julie qui complète la famille. et qui elle aussi aura une postérité.
L’ainé des Boissezon a donc eu quatre – ou cinq – filles parvenues à l’âge adulte, mais pas de fils à qui transmettre le nom et les terres.
Le moulin de Grais
Quand les actuels propriétaires du moulin de Grais l’ont acquis, à la fin du 20ème siècle, un habitant très âgé de Vieussan leur a raconté qu »au début du 19è siècle, le fils du propriétaire du moulin, celui qui plus tard avait restauré et transformé la belle maison de maître, jeune veuf de 33 ans, aimait à jouer de la trompette le soir près de l’Orb. Sur la rive opposée, dans le village de Boissezon, l’ainée d’Antoine Boissezon, Claire, 16 ans à peine, l’écoutait et s’est laissée charmer par cette musique.
L’anecdote est elle vraie ? Comme le saurais-je ? Mais j’aime à le penser, j’aime imaginer que Claire est tombée amoureuse de Pierre, et qu’ensuite les familles ont mis en place le mariage, même si Claire n’a que la moitié de l’âge de son mari.
Le 21 avril 1812, c’est André Gabriel Gabanon, le notaire impérial de Roquebrun, qui vient à Boissezon rédiger le contrat de mariage. Antoine, père de la future épouse,
ayant ledit mariage pour
agreable et fait de son consentement
donne à sa fille le quart de ses biens en nue propriété, dont elle n’aura la jouissance qu’après son décès et celui de son épouse Marie Rose. Ce contrat de mariage confirme donc qu’Antoine n’a eu que quatre filles survivantes en 1812, entre lesquelles il compte bien répartir son patrimoine à l’occasion de leur mariage, pour qu’elles le récupèrent après le décès de leurs parents.
Du côté de Pierre Moustelon, le mariage convient aussi aux parents. Même si Pierre est leur fils unique, André Moustelon lui fait une donation de 4000 francs et lui donne la jouissance d’une maison à Roquebrun.
Le 5 mai 1812, Claire Boissezon épouse Pierre André Moustelon, à la mairie de Vieussan, puis probablement à l’église.
A t’elle porté une robe semblable à celle ci ?
Le jeune couple s’installe au moulin de Grais, mais la cohabitation avec les parents de Pierre André ne va pas durer longtemps.
Le 6 novembre 1812, au moulin de Grais, Pierre Moustelon, 56 ans, décède. Deux jours plus tard, le 8 novembre 1812, c’est son épouse, Marie Anne Cambon, 54 ans, qui meurt à son tour.
Que s’est il passé ? A priori, il n’y a pas davantage de morts dans le registre de cette période, et le moulin de Grais est plutôt isolé. L’hypothèse de l’épidémie me semble peu probable, surtout que le jeune couple, lui, va apparemment très bien. Pierre a t’il fait une crise cardiaque, et son épouse depuis 35 ans en a t’elle eu le coeur brisé ? Ou bien la soupe avait elle un goût bizarre ? Je n’ai aucun élément pour comprendre ce qui s’est passé, juste des questions ….
Pierre Moustelon et son épouse Marie Anne Cambon sont inhumés, chose assez rare pour des catholiques, sur le domaine de Grais, où le petit cimetière privé est toujours présumé appartenir à la famille et ses descendants … donc à moi parmi d’autres. C’est à ce jour l’endroit où je sais avec précision que mes ancêtres les plus lointains sont inhumés.
Pierre André et Claire sont maintenant les maitres du moulin de Graïs. Pierre gère ses affaires, fait moderniser la maison de maître.
Le 7 janvier 1813, Marie Boissezon, la jeune soeur de Claire, qui a 16 ans tout juste, épouse Germain Fouilhe, son cousin germain.
Le 13 octobre 1814 naît au moulin de Graïs Philippe André, le premier des trois enfants que Claire va mettre au monde.
Pierre André, ou plutôt André comme on le nomme dans tous les documents officiels, fait partie des notables du village. Meunier, d’une famille de meuniers depuis plusieurs générations, il a un patrimoine important, et probablement des liquidités, ce qui est plus rare.
Il est maire du village, à partir de 1816, nommé par le préfet comme c’est à l’époque l’usage.
Le 23 août 1817 naît Paul Moustelon, le second fils du couple, mon ancêtre direct.
Le 7 juillet 1822, Antoine Boissezon, le père de Claire, meurt dans sa maison de Boissezon. Mais Claire ne peut pas encore recevoir sa dot, puisqu’elle ne sera disponible qu’après le décès de Marie Rose Fouilhe, sa mère.
Le 24 février 1824, Victoire Julie Boissezon, la plus jeune soeur de Claire, qui a tout juste 17 ans, se marie à son tour. C’est son beau frère, le maire du village, qui préside à la cérémonie. Une cérémonie des plus familiales, puisque Victoire Julie épouse Jean Joseph Fouilhe, son cousin germain, le frère de Germain Fouilhe, le mari de sa sœur. Certes, la paroisse ne compte pas beaucoup d’habitants, certes la région est assez difficile d’accès, mais ce double mariage entre cousins germains est clairement une façon d’empêcher une partie du patrimoine commun de passer dans des mains étrangères. Il est bien suffisant que les deux ainées aient épousé un « étranger » au cercle familial :
- Marie Anne, l’ainée, a épousé en 1810, à 19 ans, Jean Joseph Roger, dont les origines sont plus à Ceps, à quelques lieues de Boissezon, qu’à Vieussan…. un étranger au cercle familial étendu
- Claire, la seconde, à son tour a épousé un étranger, un homme dont la famille à la génération précédente était venu de Roquebrun ….. à quelques kilomètres en aval de l’Orb.
Les deux plus jeunes soeurs, en se mariant à l’intérieur de la famille, rapportent la moitié du patrimoine de leur père, et surtout de la dot de leur mère, dans la famille Fouilhe.
Le 30 septembre 1825, André achète un nouveau moulin, sur la rivière de l’Aude, à Tourouzelle. Achète t’il ce second moulin pour pouvoir y installer plus tard Paul, son second fils, qui n’a encore que 7 ans ? C’est au moulin de Tourouzelle que l’histoire de ma famille se poursuivra à partir de 1842, quand Paul épousera Marie Elisa Frances et s’installera à son compte.
La vie pourrait continuer à couler tranquillement au moulin de Graïs, mais André doit faire face à des accusations sérieuses : il prête de l’argent à un taux d’usure … Oui, mon ancêtre est usurier …. Il a des ennuis avec la justice, doit payer une amende et est interdit de mandat officiel pendant 10 ans. Il cède alors son poste de maire à Pierre Fouilhé, l’oncle de sa femme, le frère de Marie Rose, le père de Germain et de Jean Joseph, qu’il avait remplacé en 1816. La monographie très complète Vieussan une commune au XIXe siècle revient en détail sur les événements et relations politiques très tendues dans ce petit village. Clairement, André Moustelon et Pierre Fouilhe sont des ennemis politiques, deux des personnes les plus riches du village, mais qui ne s’entendent guère. Claire, en épousant André Moustelon, au contraire de ses jeunes soeurs qui se sont mariées dans le clan familial, me semble en rupture avec sa famille. Elle appartient désormais au clan Moustelon, qui jusqu’à la vente du moulin de Graïs s’opposera au clan Fouilhé.
André n’est plus maire de Vieussan, mais il continue tranquillement à vaquer à ses affaires, plutôt florissantes.
Une fille, Claire, nait le 18 mai 1826. Deux fils et une fille, la descendance – et le nom – des Moustelon semble assurée.
En 1831, sous le règne de Louis-Philippe, l’élection des conseillers municipaux est réinstaurée pour les petites communes. Ce sont les électeurs qui choisissent quels seront leurs conseillers municipaux. Pour être électeur, il faut être un homme de plus de 25 ans, disposant d’un revenu suffisant. A Vieussan en 1831, ils sont environ 95 à pouvoir élire 12 conseillers, parmi lesquels le maire et l’adjoint sont dans un premier temps désignés par le préfet. Deux factions s’opposent, encore et toujours, le clan Moustelon et le clan Fouilhe. En 1836, André Moustelon, dont le clan a remporté les élections, est nommé maire par le préfet, qui ajoute un commentaire à sa nomination.
Je ne dois pas vous taire qu’il fut condamné, il y a environ dix ans, à une légère amende pour avoir sur exigé des intérêts, mais depuis il s’est parfaitement conduit.
André reste maire jusqu’en 1840, quand son clan perd les élections au profit de Germain Fouilhé, le beau-frère de Claire … et d’André. André reste néanmoins conseiller municipal jusqu’en 1842, date à laquelle il se retire de la vie politique communale. Il a 62 ans, il commence à passer la main à ses fils.
Claire n’a que 46 ans, c’est bien jeune, même au milieu du XIXe siècle pour se retrouver douairière. Pourtant en 1842, ses deux fils vont se marier. Paul tout d’abord épouse à Oupia, à la limite de l’Hérault et de l’Aude, Marie Elisa Frances, seule héritière du patrimoine conséquent de ses parents. Avec sa jeune épouse, il s’installe à Tourouzelle.
Vers la fin de l’année, le 19 novembre 1842, à Vieussan, Philippe André, le fils ainé, l’héritier des ambitions politiques du père de famille, épouse Appolonie Abbal, fille d’un important propriétaire de la commune, qui avait été également maire de Vieussan en 1832. Appolonie s’installe au moulin de Graïs, elle a 24 ans, Claire sa belle mère en a 46. Comment s’entendent-elles, comment se répartissent-elles les rôles, ces deux femmes qui sont contraintes par leurs contrats de mariage à vivre à même feu et pot. Rappelons aussi que Claire, la fille d’André et Claire Boissezon, vit aussi au moulin de Graïs, elle a 16 ans quand son frère ainé se marie.
En octobre 1844, Claire Moustelon se marie, elle n’a que 18 ans et part vivre dans la propriété de son mari, aux Aires. Claire va mettre au monde un fils et une fille qui auront à leur tour une postérité, mais qui porteront le patronyme de son mari, Ferret.
A Tourouzelle, Paul n’engendre que des filles, dont une seule, Marie Thérézine, aura une descendance.
Et à Graïs, Philippe et son épouse Appolonie n’ont eux aussi que des filles, deux qui arrivent à l’âge adulte, mais une seule, qui après bien des difficultés, va finir par se marier.
Mais n’avoir pas de descendant qui portent son nom n’empêche pas André de continuer à gérer son patrimoine. Le moulin de Graïs ne produit pas assez, l’accès est compliqué, il faut s’agrandir, ailleurs, pour ne pas risquer de perdre son patrimoine.
Le 14 avril 1857, André Moustelon et son fils Philippe achètent ensemble une usine « ayant foulons, moulin à blé, droit de chaussé » à Bédarieux. Philippe, son épouse Appolonie et leurs deux filles quittent Graïs et s’installent à Bédarieux.
L’exploitation du moulin de Graïs, pour le blé et l’huile, et les terres à cultiver, est donnée en location à un agriculteur de Vieussan, pendant qu’André et Claire habitent toujours la maison de maitre.
Dix ans se passent ainsi, probablement calmes. Arrive le temps du mariage des petites filles, à commencer par Marie Thérézine qui épouse le 24 octobre 1865 à Tourouzelle Michel Firmin Billard. Les grands parents n’ont pas fait le déplacement pour le contrat de mariage. André a maintenant 86 ans.
En 1866, la première arrière petite fille de Claire et André, la seule qui va naître du vivant d’André, la petite Elise Billard, mon arrière-grand tante, vient au monde à Tourouzelle. Aura t’elle eu tout bébé l’occasion de voir son grand père ?
Le 29 novembre 1867, à 88 ans, Pierre André Moustelon décède. Apparemment, il n’est pas enterré avec ses parents dans le caveau sur la propriété.
Claire a 62 ans. Le moulin ne lui appartient pas, elle n’en a que l’usufruit et il est bien trop grand pour une personne seule. Elle part s’installer chez son fils et sa belle-fille, à Bédarieux. A t’elle l’occasion d’aller à Tourouzelle, pour y faire la connaissance de son arrière petit fils, Paul Billard, né en 1868 ?
Claire meurt à Bédarieux, chez son fils, le 21 avril 1872, à l’âge de 76 ans.
Le moulin de Graïs sera vendu des années plus tard, le 5 mars 1889 par Philippe André Moustelon, qui en avait hérité, à Joseph Boissezon. Un Boissezon dont les racines connues les plus anciennes plongent aussi à Boissezon, parent probable bien qu’éloigné de Claire Boissezon, mon arrière-arrière-arrière grand-mère.
Sources et liens
- Gallica – Carte de Cassini n°57 _ Lodève
- Archives de l’Hérault – Registres paroissiaux, état civil et recensements de Vieussan
- Archives de l’Hérault – Vieussan – Matrice du compoix 1676-1679
- Archives de l’Hérault – Etude de Guillaume Sabatier – 2 E 66/543
- Archives de l’Hérault – Etude d’André Gabriel Gabanon – 2 E 66/440
- Société archéologique et historique des hauts cantons de l’Hérault – Vieussan, une commune au XIXe siecle, par Pascal Caminade, Jean Pierre Comps et Michel Scanzi – ISBN 2-905551-07-0
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