Contexte historique
Depuis le 14 mai 1610, lorsque son père Henri IV a été assassiné rue de la Ferronnerie à Paris, Louis XIII règne sur la France. Après la régence de sa mère Marie de Médicis, Louis XIII finit par prendre le pouvoir en 1617. Il a 16 ans, éloigne sa mère et s’appuie sur le cardinal de Richelieu pour gouverner la France. En 1628, La Rochelle, dernier bastion protestant en France, tombe après plus d’un an de siège. Ensemble, Richelieu et Louis XIII vont mettre en place une nouvelle façon de gouverner, la « royauté absolue » (1).
Le 15 janvier 1629, le parlement de Paris enregistrait l’Ordonnance du roi Louis XIII sur les plaintes et doléances faites par les députés des états de son Royaume convoqués et assemblés en la ville de Paris en 1614. Oeuvre du chancelier Michel de Marillac, le texte bientôt surnommé par dérision « le code Michau » s’insérait dans la tradition des grandes ordonnances réformatrices, qui résultaient traditionnellement des réunions des états généraux. L’ambition de cette vaste entreprise législatrice était considérable, car elle prévoyait rien moins qu’une réforme de l’Etat, du fonctionnement de sa justice, de ses finances, du droit de ses officiers, etc… Pourtant, à peine enregistrée, l’ordonnance était déja condamnée par l’orientation de la politique menée par le roi à l’instigation de Richelieu
Histoire de France sous la direction de Joël Cornette – 1629-1715 – Les Rois Absolus – par Hervé Drévillon – Edition Belin
On fixe communément à 1629 le début de la royauté absolue.
Sur ce plan de Paris en 1630 sont indiqués différents lieux pour mieux situer les lieux de vie de ma famille parisienne (2).
Un contrat de mariage dans le monde des plumassiers
Le 14 janvier 1629 – soit la veille de l’enregistrement, à quelques pas de là, du « code Michau » par le parlement – maitre Etienne Gerbault, notaire au Châtelet de Paris, se présente chez Toussaint Moussier, marchand plumassier, pour y enregistrer le contrat de mariage entre Marie Moussier et Thomas Le Père (3).
Toussaint Moussier et sa femme Marie Vabois sont les ancêtres à la génération 15 de mon Sosa 1, sur sa branche maternelle, rameau Karcher, c’est à dire les ascendants de son arrière-grand-mère Christiane Karcher.
Le contrat commence comme toujours par l’identité des parties.
1 Pardevant les nottaires gardenottes du Roy notre sire au Chatelet de Paris
2 soubsignez furent present en leurs personnes honorable homme Toussaint
3 Moussier marchand plumassier à paris y demeurant sur le pont notre dame
4 maison ou pend pour enseigne l escu de france paroisse saint jacques de la
5 boucherie et Marie Vabois sa femme de luy suffisamment authorisée à l effet
6 des presentes en leurs noms et comme stipulant en cette partie pour marie
7 Moussier leur fille d’une part, et Thomas Lepère aussi
8 marchand plumassierr à paris demeurant rue Saint Denis parroise
9 Saint Luc Saint Gilles majeur de vingt cinq ans passés et _
10 _ fils de deffunt Jehan Lepère vivant tailleur d habits demeurant
11 à Coulommiers en brie et de Jehanne desmoulins jadis sa femme
12 pour luy et en son nom d autre part
La famille Moussier habite une maison sur le Pont Notre Dame (4), qui appartient à la paroisse Saint Jacques de la Boucherie. Cette église – identifiée sous le numéro 2 sur le plan – est presque totalement détruite aujourd’hui, il n’en reste plus que la tour, connue sous le nom de tour Saint Jacques.
Le pont Notre Dame en 1629 est un pont en pierre de taille, construit en 1507 après que le pont précédent, en bois, avait été emporté par une crue de la Seine en 1499. 61 maisons sont construites sur les parapets du pont, elles sont numérotées et ont aussi des enseignes. La maison dans laquelle habite Toussaint Moussier est à l’enseigne de l’Ecu de France.
On peut consulter le terrier du Roi pour la ville de Paris en 1700, numérisé sur Geneanet (5). On y voit le plan du Pont Notre Dame, et ses 61 maisons, qui appartiennent toutes au domaine du roi. Malheureusement, aucune des enseignes n’est indiquée comme à « l’escu de France ».
Le peintre Nicolas Raguenet a immortalisé la Joute des mariniers, qui a eu lieu entre le Pont Notre Dame et le Pont au Change, en 1756. On y voit les maisons construites sur le pont, serrées les unes contre les autres.
Dans l’inventaire après décès de Pierre Deshayes, gendre de Toussaint Moussier, probablement dans cette même maison sur le Pont Notre Dame, on peut suivre le notaire dans les différents étages et les pièces de la maison.
C’est probablement dans la pièce à vivre de la maison, au premier étage au dessus de la boutique, qu’on se réunit pour rédiger et signer le contrat.
Sont présents
- Toussaint Moussier, marchand plumassier, le père de la future épouse. D’après un autre acte notarié, que je n’ai pas encore récupéré, il possèderait une maison sur le Pont au Change. Je ne sais pas grand chose sur lui, sauf qu’il est marié avec Marie Vabois, avec laquelle il a deux filles – Marie et Anne, l’ancêtre de mes enfants – et qu’il meurt avant 1661.
- Marie Vabois, la mère de la future épouse. Elle appartient à la famille Vabois, une famille de commerçants à Paris au 17e siècle. Elle est la fille de Jacques Vabois, marchand passementier boutonnier, et de Catherine Godart, qui est encore vivante en 1629 et remariée à Nicolas Thomas, également marchand passementier boutonnier. Marie Vabois meurt avant 1661.
- Marie Moussier, la fiancée. On ne sait rien sur son âge, mais elle signe le contrat de mariage.
- Nicolas Thomas, marchand passementier boutonnier à Paris, second époux de Catherine Godart, et donc beau-père de la mère de la fiancée. Il est indiqué qu’il est l’aïeul de la jeune fille, alors qu’il en est le second époux de l’aïeule maternelle.
- François Vabois, le frère de Marie Vabois, et donc l’oncle maternel de la fiancée. Il est également marchand passementier boutonnier à Paris. Il est probablement l’époux d’Anne Auchede, épousée en 1614, et mort le 31 août 1658 rue Saint-Denis, paroisse Saint Merry à Paris.
- Jean Vabois, marchand bourgeois de Paris. Il est dit oncle de la future, mais il semble que Marie et François Vabois sont les seuls enfants survivants de Jacques Vabois et Catherine Godart. Je pense qu’il s’agit plutôt d’un grand-oncle de l’épouse, et donc un frère de Jacques Vabois, probablement fils de Jacques Vabois et Jeanne Gastelineau.
- Pierre Vabois, marchand bourgeois de Paris. Tout comme Jean, il est dit oncle de la future. Je pense qu’il s’agit plutôt de l’oncle de la mère de la mariée, et donc du frère de Jean.
- François Guillemot, marchand gantier parfumeur à Paris, est également présent. Il est désigné comme oncle à cause de sa femme, sans que j’ai pu pour l’instant l’identifier davantage
Il y a moins de monde du côté du fiancé, qui n’est pas originaire de Paris, mais de Coulommiers – ou plutôt Coulommiers-en-Brie, comme l’indique le notaire.
- Thomas Le père est marchand plumassier à Paris, il habite rue Saint-Denis, paroisse Saint-Luc Saint-Gilles, et il a plus de 25 ans, sans qu’on sache précisément son âge. Il est le fils de Jean Lepère, décédé, qui était tailleur d’habits, et de Jeanne Desmoulins.
- Jehan Lepère, frère de Thomas, est le seul membre de sa famille à assister au contrat de mariage. Il est lui aussi marchand plumassier à Paris.
En plus de la famille et des notaires sont présents quelques amis, qui tous sont marchands, plumassiers ou passementiers, et que je ne sais pas vraiment identifier : Claude Leroux, Anthoine Guiche, Jacques Pancatelin, Fremin Le Noir et Charles Brunet.
On se marie dans son milieu, pour continuer à faire fructifier les affaires de la famille.
Quand Anne Moussier, la soeur de Marie, se marie à son tour – bien plus tard – elle épouse elle aussi un marchand plumassier, Pierre Deshayes.
Les termes du contrat
Les époux se marient selon la coutume de Paris.
On trouve sur Gallica (6) un traité – en français – de cette coutume qui touche à tous les aspects juridiques de la vie, pas seulement au mariage. Le douaire n’est d’ailleurs que le neuvième traité de cet ouvrage.
Le véritable objet de ce mariage est clairement expliqué dans le contrat. Par ce mariage, Toussaint Moussier s’associe à Thomas Lepère pour ses affaires et sa boutique.
15 en faveur duquel futur mariage lesdicts Toussainct
16 moussier et sa femme pere et mere de la future espouze
17 ont promis et prometent faire cession et transport
18 aux futurs espoux la veille des espouzailles
19 de la moicité du droict de bail de la maison en la
20 quelle lesdicts pere et mere sont demeurant affin
21 de _ par lesdits futurs espoux avec lesdits
22 pere et mere a l effect de la sociétté qu’ils feront
23 ensemblent au trafficq de negoce de leur marchandise
24 soubz les articles et conditions qui seront
25 convenues et accordées entre eulx Lequel droit
26 de moitié dudict bail les parties ont estimé
27 à la somme de douze cent livres tournois à la charge
28 de payer par les futurs espoux la moictié du
29 loyer de la totallité dudit bail par chacun an au
30 receveur du domaine de la ville present et advenir
La veille du mariage, les parents de Marie Moussier transféreront au jeune couple la moitié du droit de bail de leur maison, en fait la moitié de leur commerce. Cette moitié est évaluée à douze cents livres tournois, qu’on peut estimer à environ 65 000 euros actuels selon le convertisseur de monnaies d’ancien régime.
Thomas apporte son stock de plumes, et son industrie. Le contrat précise que si le jeune couple souhaite sortir de cette association, il devra reverser 1200 livres tournois, sans que la valeur du commerce soit réévaluée.
En fait, Toussaint Moussier s’est choisi un successeur et en a fait son gendre, ce qui est naturel et fréquent à cette époque.
Et après ?
Je sais que Thomas et Marie vont avoir au moins une fille, Catherine, qui va épouser un certain Claude Mesnidrieu. Quand, je l’ignore, mais Claude Mesnidrieu est présent lors de l’avis de tutelle en date du 13 novembre 1685, après le décès de Pierre Deshayes, l’oncle par alliance de son épouse.
Y a t’il ensuite une postérité, et qu’en est il de la famille Lepère à Coulommiers ? Pour l’instant je l’ignore.
Je sais aussi que la seconde fille de Toussaint Moussier et Marie Vabois, Anne, épouse Pierre Deshayes après leur contrat de mariage, passé le 20 juillet 1651 à Paris.
Je suis étonnée du délai particulièrement long entre les deux mariages. Marie se marie en 1629, Anne en 1651, soit 21 ans plus tard. Je n’ai malheureusement aucun moyen de savoir quel âge ont les jeunes filles – ou leurs parents. Marie s’est elle mariée très jeune, et Anne à un âge plus avancé? Les deux sœurs ont elles un écart d’âge important ?
Lors de son mariage, la future épouse reçoit de ses parents 4000 livres de dot en avancement d’hoirie, en deniers comptants, et un trousseau d’une valeur de 100 livres. Le futur mari est marchand panacher – une autre dénomination pour plumassier, il est âgé de quarante ans, et demeure sur le Pont Notre Dame paroisse Saint-Jacques de la Boucherie, alors que Toussaint Moussier habite rue des Arcis, dans la même paroisse. Thomas Le Père, le beau-frère d’Anne, est présent au contrat, il est toujours marchand panacher, et habite maintenant le pont Saint-Michel, paroisse Saint-André-des-Arts.
La maison qu’habite Pierre Deshayes est-elle la même que celle qu’habitait Toussaint lors du mariage de sa fille ainée ? Pourquoi son gendre et lui l’ont ils quitté ? Ont ils mis fin à leur association en s’installant chacun dans une boutique ?
Côté Vabois, il semble que je sois maintenant en mesure de reconstituer plusieurs générations familiales, en continuant à éplucher des actes trouvés sur le site Familles parisiennes. Certains de ses actes laissent penser que les grands-parents de Marie Vabois, la sosa 27447 génération 15 de mon petit-fils, vivaient déjà à Paris en août 1572, au moment de la Saint-Barthélemy. J’ignore si je vais pouvoir confirmer cette théorie, mais c’est une piste que j’ai bien envie d’explorer.
Je n’ai pas fini d’éplucher les registres de notaire archivés au CARAN, et de m’user les yeux sur des transcriptions d’anciens actes notariés, pour mon plus grand plaisir.
Sources et liens
- Histoire de France – Editions Belin – 1629-1715 – Les Rois Absolus
- Gallica – Le plan de la ville, cité, université, fauxbourgs de Paris, avec la description de son antiquité – Auteur : Callot, Jacques (1592-1635).
- Archives Nationales – Minutier Central des Notaires – MC_ET_II_127
- Histoires de Paris – Pont Notre Dame
- GeneaWiki – Terrier de Paris
- Gallica – Titre : Traités de Mr Duplessis,… sur la coutume de Parishttps://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k3044520d . Troisième édition, reveue… avec des notes de MM. Berroyer et de Laurière,… Auteur : Duplessis, Claude (16..-1683). Auteur du texte – Date d’édition : 1709
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