Rendons à Candice ce qui lui est dû. Candice est une auditrice de mon stream de généalogie, le jeudi soir sur Twitch. Récemment, j’ai parlé de la maison que possède Anne Crelot rue du Croissant, à Paris, et j’ai au passage mentionné que je n’arrivais pas depuis une dizaine d’années à mettre la main sur le mariage de Gratien et Catherine … et que Gratien était une de mes plus anciennes épines généalogiques. Quelques jours plus tard, Candice retrouvait la trace de leur contrat de mariage chez Jean Michel Le Chanteur, notaire à Paris, dont je n’avais pas fini d’explorer les registres. A courir après trop de projets, on passe à côté de solutions simples. Alors merci encore à Candice et étudions ce contrat de mariage, qui est une vraie mine d’or.
J’ai eu plusieurs fois l’occasion de vous parler de mes recherches autour de Gratien Landes. Pourquoi m’intrigue t’il autant ? Peut-être parce qu’il a beaucoup résisté à mes recherches, et que je pressens une personne qui se démarque un peu de mes ancêtres habituels.
Le contrat est passé entre Gratien Landes, qui contracte avec l’accord de sa mère, absente, et Anne Angélique Lebois Duclos, née Goret, veuve, pour le compte de sa fille Catherine.
Gratien Landes est seul – ou presque.
Furent presens le Sieur Gratien Landes
chirurgien à Paris y demeurant rue Saint Honoré
au coin de la rue du tour parroisse Saint Eustache, fils
de deffunt Sieur François Landes bourgeois de Soual
dioceze de Lavaur senechaussée de Toulouze, et de
damoiselle Marie de Latger sa femme a present sa veuve
ses pere et mere, de laquelle dite sa mere, il a dit
avoir le consentement a l’effet du mariage cy après,
Pour luy et en son nom d’une part,
[…]
de la part dudit sieur
futur epoux de Pierre LaBorde bourgeois de paris
y demeurant Cloistre et parroisse Saint Germain l’auxerrois
comme fondé de la procuration specialle a l’effet du present
mariage de la ditte dame mere dudit sieur Landes
passée devant Paynavayre notaire royal a Vivier-les-montainges
province de toulouze present temoin le vingt
neuf aoust mil sept cent onze ? dument legalisée le
quatre septembre suivant expedition de laquelle
a esté cy annexé apres avoir estée dudit sieur
LaBorde certifiée veritable signée et paraffée
en presence des notaires soussignés
de Michelle de la Barre femme du sieur
Glorie maitre chirurgien cousin germain ;
Je découvre enfin le nom de ses parents, et j’ai la confirmation de l’intuition que j’avais eu il y a quelques années. Mon Gratien Landes est originaire de la région de Lavaur, en Languedoc, tout comme le Gratien Landes que j’avais trouvé à Sucy-en-Brie. Sont ils cousins ? Vais-je pouvoir trouver leur parenté ?
« Mon » Gratien serait originaire de Soual, alors que celui de Sucy-en-Brie venait d’Escoussens, à quelques lieux de là.
Les parents de Gratien sont un certain François Landes, déjà mort en 1734, qui apparemment n’était pas chirurgien, et Marie de Latger, qui a autorisé son fils à se marier.
Du côté de l’épouse, il y a clairement plus de monde.
et damoiselle Anne Angelique Goret veuve
du sieur François Le Bois du Clos greffier en
chef du conseil souverain de St Domingue, demeurante
rue du Croissant Parroisse Saint Eustache,
stipullante pour damoiselle Catherine Le Bois du Clos
agée de vingt ans ou environ, sa fille et dudit
feu sieur son epoux, demeurante avec ladite
sa mere, à ce presente de son consentement, pour
elle et en son nom d’autre part,
[…]
Et de la part de la ditte future epouse
de demoiselle Marie Thereze Le bois Duclos sa soeur
épouse de sieur estienne deVienne employé dans
les fermes du Roy, damoiselle angélique Madeleine
LeBois du Clos fille soeur, de Marie Madeleine
du Clos tante paternelle, Louise du Clos
aussy tante paternelle, de jean françois duclos
frère, de François Bourdin maitre de danse
et Louise Goret sa femme tante maternelle, de
sieur Michel Regnault bourgeois de paris
oncle de ladite future epouse a cause de Charlotte
Goret son épouse
Dans la famille de Gratien Landes, je ne connaissais personne, mais du côté de la future épouse, je sais qui est qui dans la liste des témoins.
Sur le schéma ci-dessous j’ai représenté les personnes présentes et leur parenté. Anne Crelot, la grand-mère, encore vivante, est probablement beaucoup trop fatiguée pour s’être déplacée chez maitre Le Chanteur, le notaire. Trois ans plus tôt elle avait été présente lors du mariage de sa petite-fille Marie-Thérèse.
Trois ans plus tôt, Anne Angélique a marié sa fille ainée, Marie Thérèse, née à Auxerre le 7 juin 1710, avec Henri Etienne Devienne. Sur les dix enfants – ou onze peut-être – qu’elle a eu pendant ses douze années de mariage avec François Lebois Duclos, mort de fièvre peu après son arrivée à Saint-Domingue, où il devait occuper le poste de greffier en chef – il n’en reste que quatre encore vivants en ce mois de juin 1734, qui tous les quatre sont présents lors du contrat de mariage : Marie Thérèse, la jeune épouse d’Henri Devienne, probablement déjà mère de deux enfants, Angélique Madeleine, née le 2 juin 1711 à Auxerre, et toujours célibataire, Jacques François, né probablement en septembre 1719 à Paris, deux mois avant le décès de son père, et bien sûr la future épouse Catherine, née le 13 juillet 1713 à Grenoble.
Catherine va donc avoir 21 ans dans environ trois semaines. Elle est présente et consentante. Enfin, c’est ce que dit le contrat.
La liste des invités, « amis communs », est longue, et comprend beaucoup de médecins, de bourgeois de Paris et de chirurgiens. Pour l’instant, je la laisse de côté, cela m’entraînerait trop loin du mariage lui-même, mais ces invités nombreux indiquent que la famille de la jeune épouse – un arrière grand-père , Claude Goret, ingénieur du roi, un autre Jacques Crelot chirurgien de premier plan – est bien implantée dans la bonne société de l’époque.
Les époux se marient suivant la coutume de Paris – en fait une communauté réduite aux acquets.
L’épouse apporte l’équivalent de 300 livres en meubles et vêtements et sa part dans l’héritage qui lui vient de Geneviève Crelot veuve de Vallossière, sa grand-tante, dont elle possède la nue-propriété avec ses deux sœurs et son frère, pendant que leur mère en a l’usufruit. Elle doit aussi recevoir sa part – donc un quart – dans la succession de sa grand-mère Anne Crelot veuve Goret, quand celle-ci décèdera.
Depuis la dizaine d’années que je traque les actes notariés concernant la famille de Catherine dans le Minutier Central des notaires parisiens, j’ai petit à petit déjà trouvé tous les actes qui expliquent les transactions concernant l’héritage présent et futur de Catherine. Ou du moins une grande partie. J’ai eu un peu de mal à m’y retrouver au début, mais ce contrat de mariage est clair – plus que celui de sa soeur Marie Thérèse trois ans plus tôt.
Anne Angélique Goret, veuve Lebois Duclos, qui jouit de l’usufruit de l’héritage – conséquent – de sa tante, s’engage à verser au couple trois cent livres de rente par an, jusqu’à sa mort, date à laquelle sa fille Catherine touchera sa part dans l’héritage de Geneviève Crelot. Cette clause n’est pas surprenante.
Ce qui l’est un peu plus, c’est qu’on fait état du fait que c’est l’époux qui prend en charge les frais de la noce et l’établissement du jeune couple. Et pour cela il en est de sa poche d’au moins trois mille livres. La somme me semble plus que rondelette, pour un mariage et l’établissement d’un jeune couple à Paris.
Gratien n’arrive pas sans rien dans le mariage, il apporte deux mille livres, en meubles, vêtements, ustensiles de ménage et deniers comptants. Il apporte aussi sa part sur l’héritage de son père, un quart d’une maison à Soual et d’une métairie près de Toulouse, dont sa mère jouit de l’usufruit. Cet héritage, il en touchera un quart, il a donc une fratrie – que je ne connais pas encore – de trois personnes.
Catherine et Gratien mettent chacun trois cent livres dans la communauté. Si Gratien contribue à hauteur de trois mille livres à la noce et l’établissement du jeune couple, mais n’apporte que deux mille livres, cela signifie t’il qu’il a dû emprunter les mille livres qui manquent ? Est-ce alors une dette du couple, ou une dette propre du futur époux ?
Quoiqu’il en soit, le contrat de mariage prend en compte ce débours important fait par le futur époux.
Et d’autant que ledit sieur futur expoux ne recoit
aucun denier comptans de ladite demoiselle future epouse,
et que pour se mettre en menage et faire les frais de noces
et habillement d’icelle demoiselle il sera obligé de faire _
de la depense a été convenu que si la dite demoiselle future
epouse venait a deceder avant ledit sieur futur epoux sans
enfans de leur mariage, il sera payé par les frere et soeurs
ou autres heritiers de ladite demoiselle a iceluy sieur futur epoux
la somme de trois mille livres pour l’indemniser de
partie desdits frais de noces et charges dudit mariage, du
payement de laquelle ditte somme ladite demoiselle future epouse
charge des a present des dit frere soeurs ou heritiers, attendu
qu’elle regarde la presente clause comme une justice qui est
due audit sieur futur epoux, et ladite dame veuve Duclos
mere de ladite demoiselle future epouse entrant dans son esprit de
justice, et voulant de sa part contribuer à donner les suretés
convenables audit sieur futur epous pour etre payé de ladite
somme de trois mille livres dans le cas susmarqué, elle
promet s’oblige des a present de continuer audit sieur futur
epoux acceptant les mesmes trois cent livres de rente
et pension annuelle qu’elle a constitué par le present
contrat au proffit de ladite demoiselle future epouse sa fille,
et ce pendant dix années qui ne commenceront
à courir que du jour du deces de ladite demoiselle future epouse sans
enfans de son dit mariage; et si ladite dame veuve
Duclos venait à deceder avant les dix années
qu’il conviendra pour que ledit sieur futur epoux
soit totallement payé de la dite somme de trois mille livres ….
Ce contrat de mariage confirme des éléments de la généalogie de mes enfants dont j’avais retrouvé des bribes, mises bout à bout. Je comprends mieux la façon dont l’héritage de Geneviève Crelot a été réparti entre ses héritiers. J’ai dans l’acte – surtout dans les signatures – un nouvel indice concernant le frère de Catherine, Jacques François Lebois Duclos, que je crois être plus tard un prêtre. En 1734, il est présent au mariage de sa sœur ainée, il a une quinzaine d’années et vit probablement avec sa mère et sa sœur Angélique, dans la maison de la rue du Croissant. C’est une nouvelle étape dans ma quête pour reconstituer son parcours.
Mais mes découvertes ne s’arrêtent pas là. La procuration signée par la mère de Gratien est jointe à l’acte, et cette procuration est elle aussi riche d’enseignements.
J’y apprends que François Landes, le père de Gratien, est décédé le 12 septembre 1724, probablement à Soual, dont il est dit qu’il est bourgeois, sans que le lieu de décès soit vraiment précisé, et que Gratien, baptisé sous les noms de Jullien Gracien, est né le 24 décembre 1700 et qu’au moment de la procuration, il est garçon chirurgien en la ville de Paris.
Malheureusement, les registres paroissiaux couvrant chacune de ces deux dates sont lacunaire, et je ne peux donc ni confirmer cette information, ni obtenir plus de détails.
Mais un autre élément attire aussi mon attention. La procuration, passée chez le notaire de Vivier-les-montagnes, dans le Tarn, et donnée à Pierre Laborde, est datée du 29 août 1732.
1732, pas 1734.
La procuration est générale, parce qu’elle ne donne pas procuration pour un mariage en particulier, mais pour le mariage et l’épouse « très avantageux » que Gratien pourrait trouver à Paris.
De plus, dans la procuration établie par sa mère en août 1732, Gratien est « garçon chirurgien » et dans son contrat de mariage presque deux ans plus tard, en juin 1734, il est chirurgien.
Pour en savoir plus sur le parcours de formation d’un chirurgien au début du XVIIIe siècle, j’ai trouvé dans l’ouvrage consacré à la vie de Georges Marechal des informations intéressantes.
Au départ, il faut soit entrer en apprentissage pour deux ans chez un maitre, contre rémunération plutôt élevée du maitre, soit s’engager auprès de lui comme « garçon chirurgien », pour une durée de six ans.
Comme dans tous les corps de métiers, il fallait faire son apprentissage avant d’aspirer à la maîtrise. L’article 16 des statuts de 1634 prévoyait deux manières d’accomplir ce noviciat : « Nul ne pourra parvenir à la maîtrise de Paris qu’il n’ait fait son apprentissage chez un maitre de la dite ville, ou servi l’un d’iceux maitres l’espace de six ans consécutifs. »
La première façon était la plus agréable comme la plus rapide : le jeune « apprentif » pensionnaire chez son maitre, conservait une certaine liberté; il fréquentait les hôpitaux et suivait les rares cours chirurgicaux de cette époque, obéissant au patron en ce qui pouvait servir à son instruction. Mais, d’après l’article 10 des statuts, chaque maitre n’employait qu’un seul apprentif; de plus, l’élève payait pour son instruction chirurgicale une somme assez élevée. Les jeunes gens peu fortunés se voyaient dans l’obligation d’embrasser le second parti, et de se mettre pour six ans au service d’un maitre chirurgien-barbier. Cette fois, l’emploi était assez facile à trouver, car chaque boutique recevait un nombre indéterminé de « garçons ». Moyennant les engagements auxquels ils s’assujettissaient envers le patron, les futurs chirurgiens ne lui payaient aucune pension; les gratifications des clients leur permettaient, au contraire, d’amasser quelque argent. Les garçons, appelés également « serviteurs chirurgiens », devaient tout leur temps au patron; celui-ci ne leur permettait d’assister aux exercices de Saint-Côme que si le travail manquait à la boutique. Bref, toutes les corvées leur revenaient, pendant que l’apprentif travaillait à sa guise.
Georges Mareschal, seigneur de Bièvre, chirurgien et confident de Louis XV
Après cette période de deux ans ou six ans, le chirurgien en devenir devait encore travailler sept années pour son maitre, avant d’avoir le droit de se présenter à l’examen de maîtrise, long et très coûteux.
Il fallait avoir fait de sérieuses études pour surmonter les difficultés de l’examen; mais un garçon chirurgien consciencieux, travaillant depuis treize ans sous un maitre habile, pouvait les affronter avec confiance s’il ne reculait pas devant les frais à payer, fort considérables encore.
Georges Mareschal, seigneur de Bièvre, chirurgien et confident de Louis XV
Gratien Landes n’est pas arrivé chirurgien à Paris. On aurait pu imaginer qu’il avait fait ses études à Lavaur, à Castres, ou même à Toulouse, où les conditions sont peut-être moins difficiles. Mais si en 1732, à l’âge de 32 ans environ, il est garçon chirurgien et demande à sa mère son autorisation pour se marier, c’est qu’il est probablement à la fin de sa période de formation, peut-être en train de passer ses examens de maîtrise. Il peut donc se permettre de s’installer, et de trouver une épouse « avantageuse ».
Peut-être Gratien a-t’il travaillé avec son cousin germain Glorie/Glorios, dont la femme est présente à la signature du contrat. Ou bien pour Jean Malaval, maitre chirurgien juré, présent lui aussi ?
Après avoir trouvé ce contrat tellement prometteur, je suis allée faire des recherches sur le site des archives du Tarn. Malheureusement, les registres paroissiaux du lieu de Soual sont assez lacunaires. Mais en faisant quelques recherches sur la base Rigal des mariages du Tarn, j’ai trouvé les références du mariage de François Landes et Marie de Latger, en 1688, celles du mariage de Catherine Landes, soeur de Gratien, et celle d’une fille d’un certain Germain Landes, maitre chirurgien à Escoussens, dont la fille se marie à Soual.
Ces premiers contrats de mariage, dont j’ai demandé une copie à l’association EGMT, devraient me donner des renseignements supplémentaires sur les relations familiales des différents Landes autour de Lavaur.
Et j’ai aussi vu que le Tarn a mis en ligne les compoix pour les périodes qui m’intéressent.
Même si ce contrat de mariage ne m’a pas permis de remonter rapidement plusieurs générations au delà des parents de Gratien, les possibilités sont là, et nombreuses.
Affaire à suivre …
Sources et liens
- Archives Nationales de France – Minutier Central des Notaires Parisiens – AN_MC_ET_LXXXIX_423
- Gelfand Toby. Deux cultures, une profession : les chirurgiens français au XVIIIe siècle. In: Revue d’histoire moderne et contemporaine, tome 27 N°3, Juillet-septembre 1980. pp. 468-484. –
- Histoire des chirurgiens, barbiers et barbiers-chirurgiens
- Gallica – Titre : Georges Mareschal, seigneur de Bièvre, chirurgien et confident de Louis XIV (1658-1736) / par le Cte Gabriel Mareschal de Bièvre,… Auteur : Mareschal de Bièvre, Gabriel (1866-1941). Auteur du texte Éditeur : Plon-Nourrit et Cie (Paris) Date d’édition : 1906
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