Il est 16 heures ce 30 décembre 1872 quand Jules Constantin Karcher, 46 ans, se présente à la mairie de Colmar pour y déclarer son fils premier né, qu’il nomme Christian Jules.
Depuis le 10 mai 1871, l’Empire Allemand a annexé l’Alsace. Jules Constantin aurait pu choisir de quitter Colmar, comme ses deux frères, mais il est resté et a continué à faire fonctionner l’usine familiale de soieries dans le quartier de la porte de Neufbrisach. Il a donc perdu la nationalité française, tout comme Marie Jeanne Jung, qu’il avait épousé le 9 avril 1871.
A sa naissance, le petit Christian Jules est donc allemand de droit, tout autant que s’il était né à l’Est du Rhin, dans un des villages du Baden Würtemberg tout proche.
Deux ans plus tard, le 22 février 1875, nait toujours à Colmar Daniel, le second et dernier fils de Jules Constantin.
Entre 1883 et 1889, la famille quitte Colmar et s’installe à Bâle. Je n’ai pas encore pu retrouver la date du départ, mais grace à la photographie ci dessous des deux frères, j’ose avancer qu’en 1884 la résidence de la famille était bien Bâle. Cette photo a en effet été prise après 1883, puisque le photographe, Taeschler, mentionne au dos du carton « Diplôme d’honneur 1883 ». Les âges des deux garçons seraient alors 12 ou 13 ans, et 10 ou 11 ans, ce qui est cohérent avec la photo.
En 1889, toute la famille obtient le statut de Bourgeois de Bale, qui leur confère la nationalité Suisse.
C’est en Suisse que Christian et Daniel font leurs études, et accomplissent leurs obligations militaires. J’ai dans les archives familiales le livret militaire suisse de Daniel Karcher, mais malheureusement aucun document suisse, militaire ou autre, pour Christian.
Jules Constantin, le père, meurt à Bâle le 7 janvier 1894, Christian a 21 ans.
Je le retrouve presque 10 ans plus tard à Paris. Il est maintenant ingénieur, et les bans de son futur mariage sont publiés le 13 décembre 1903. Il épouse le 12 janvier 1904 à la mairie du 8ème arrondissement Marie Elisabeth Bachrich. La jeune femme perd par son mariage sa nationalité française.
En 1908, Christian fait les démarches nécessaires pour recouvrer la nationalité française perdue par son père.
Trois mois plus tard, le 9 juin 1908, c’est son épouse Marie Elisabeth qui recouvre la nationalité française , perdue par son mariage avec un étranger, grâce à un décret du Président de la République.
Nous nous sommes longtemps demandé pourquoi Christian, contrairement à son frère Daniel, qui a lui aussi vécu à Paris jusqu’à sa mort en 1928 tout en restant Suisse, avait choisi de devenir français. Depuis que j’ai découvert que l’épouse de Christian avait perdu par son mariage sa nationalité française, je me demande si sa décision découle d’une volonté de permettre à sa femme de retrouver une nationalité perdue. Pure conjecture, je n’en saurai rien, n’ayant malheureusement aucun document de première main à ce sujet.
Quelles que soient les motivations de Christian, il est maintenant français et doit accomplir les obligations militaires de tout citoyen français. Il est donc ajouté sur le recensement militaire en 1909, sur les listes de la classe 1908, avec laquelle il marchera, sous le matricule 394 du 6ème bureau de Paris. Il est néanmoins exempté de service actif, peut être au vu de son livret militaire suisse, mais rien n’est indiqué sur sa fiche matricule.
Il reste surprenant pour moi de voir que les dates indiquées sur sa fiche matricule sont celles de la classe 1908, c’est à dire de jeunes gens nés en 1888, 16 ans après lui. Pourquoi n’a t’il pas été réintégré dans sa classe d’âge ? S’il avait été intégré dans sa classe d’âge, la classe 1892, en 1912 il aurait été versé dans la réserve territoriale et ne se serait pas trouvé en 1914 dans un régiment de première ligne ….
Quoiqu’il en soit, quand la mobilisation générale est décrétée, il rejoint son régiment, le 37ème RI et se trouve donc affecté au 237ème RI, régiment de réserve du 37ème RI.
Il est tout aussi surprenant pour moi de constater que cet homme mûr, éduqué, intelligent et cultivé – aux dires de sa belle soeur, la grand mère de mon mari – n’a à aucun moment cherché à devenir officier. Il semble s’être fondu dans la masse de ces combattants qu’on a envoyé sans hésitation au devant des balles ennemies, des deux côtés de la ligne de front.
Christian rejoint donc le 12 août 1914 le 237ème RI dans son cantonnement de Moulins, près de Nancy.
Sur l’excellent site Chtimiste, j’ai trouvé un résumé de l’historique du 237ème, que je vous propose ci dessous :
Je n’ai pas encore trouvé dans quelle(s) compagnie(s) Christian a servi, et je ne trouve aucune mention nominative le concernant dans les JMO du régiment.
Il est mort le 8 juin 1915 à Souchez, selon les informations de sa fiche de Mort pour la France. Son décès n’a été confirmé officiellement que le 26 juillet 1916 , ce qui me fait penser que son corps n’a pas été retrouvé.
Que s’est il passé ce 8 juin 1915 à Souchez ?
Jusqu’au 6 juin, le régiment est au repos au cantonnement. Le soir du 6, le régiment prend position dans la tranchée U, au sud de la Sucrerie. Le feu ennemi de l’artillerie est soutenu. Du 7 au 9 juin, le régiment va tenter de reprendre quelques dizaines de mètres de tranchées … Dans le Journal de marche du régiment, on trouve les croquis suivants, indiquant les positions du régiment au début et à la fin de ces trois jours.
Je ne suis pas stratège, mais de ce que je comprends, on s’est battu pendant trois jours, les pertes sont importantes, et pour quoi ? pour quelques mètres de tranchées qu’on ne voit qu’au niveau d’un croquis …..
Les pertes pour ces trois jours s’élèvent à 43 tués, 149 blessés, 28 disparus.
Christian fait probablement partie des 28 disparus.
Le 26 juillet 1916, il est officiellement déclaré mort par le Tribunal de la Seine, et sa veuve, dont il était semble t’il divorcé en 1915 au moment du décès peut toucher la confortable assurance vie qu’il avait contracté pour elle avant la guerre …..
En mémoire de Christian, voici une photo de lui, prise à Bâle, quand il était encore Suisse … probablement vers 1900.
[Christian Karcher]
Sources et liens
- Le parcours du combattant 1914-1918 – Synthèse des informations
- Mémoire des Hommes – JMO 237ème RI
- Chtimiste
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