Aujourd’hui, je vous propose une plongée dans la série W des Archives Nationales – Juridictions extraordinaires – qui nous entraine dans le monde des procès révolutionnaires.
J’ai retrouvé deux victimes de la guillotine, tous deux jugés et exécutés à Paris, dans l’ascendance de mon époux : son ancêtre direct Jean Jung (1) (2) et le frère ainé d’un de ses ancêtres, Pierre Hugues Louis Jean Pelletier de Chambure (3). Tous deux ont croisé le tristement célèbre Antoine Quentin Fouquier (4)(5), accusateur public.
« Fouquier Tinville » par Inconnu — http://portrait.kaar.at/FrRev_2/image3.html. Sous licence Public domain via Wikimedia Commons.
Je vous propose donc de lire ensemble l’acte d’accusation rédigé par Antoine Quentin Fouquier lors du procès de Pierre Hugues Pelletier de Chambure (6).
? ? non ? ? le 27 germinal
ACTE D’ACCUSATION
contre chamburre
ANTOINE QUENTIN FOUQUIER,
Accusateur Public du Tribunal Révolutionnaire, établi à Paris par
décret de la Convention nationale du 10 mars 1793, l’an deuxième
de la République, sans aucun recours au Tribunal de cassation, en
vertu du pouvoir a lui donné par l’article deux d’un autre décret de
la Convention du 5 avril suivant, portrant que l’Accusateur Public
dudit Tribunal est autorisé à faire arrêter, poursuivre et juger sur la
dénonciation des autorités constituées ou des citoyens.
EXPOSE que par arrete du comité de surveillance du parlement de Paris
du dix neuf ventose dernier hugues louis jean pelletier Chamburre agé de
trente sept ans natif de Tonnerre departement de l’yonne emploié dans
les subsistances militaires en qualité de sous directeur a la residence
d arras, a ete traduit au tribunal revolutionnaire comme prévenu
de propos tendans à la dissolution de la représentation nationale et au
rétablissement de la royauté. qu examen fait de l’interrogatoire
subi par ledit chamburre ? il en
resulte que chamburre agent de l infame condé avec comparet et duchemin deja
frappés du glaive de la loi, a manifesté
hautement son affection pour ce traitre et pour les ennemis
de la republique, en disant publiquement que ceux qui
avoient livré au mois d’août et de septembre mil sept cent
quatre vingt douze Longwi et Verdun aux despotes de
Berlin et de Vienne avoient bien fait, et que s il etoit
commandant de toutes les places qui se trouvoient sur leur
passage pour venir à paris il en feroit autant.
qu il a provoqué le retablissement de la royauté en
disant que l on ne pouvoit se passer de roi, et
===
en declamant contre le jugement rendu contre
le dernier tyran par la convention nationale soutenant
qu avant de le juger il falloit savoir quelle seroit la proposition
du gouvernement
D’après l exposé cydessus l accusateur public a dressé
la presente accusation contre hugues louis jean pelletier
chambure pour avoir conspiré contre le peuple
francois en provoquant par ses discours et propos la
dissolution de la représentation nationale, et le retablissement
de la royauté et en applaudissant aux trahisons des
conspirateurs qui favorisoient l invasion du territoire
françois par les puissances coalisées, et en cherchant
a ebranler la fidélité des citoiens envers la nation
francoise ce qui est contraire a l article quatre de la premiere
section du titre premier du code penal
en consequence l accusateur public
requiert qu il lui soit
donné acte de la présente accusation. qu il soit dit et ordonné
que ledit chamburre sera pris au corps a la requete et
diligence du requerant et par l huissier porteur de
l ordonnance a intervenir, et ecroué sur les registres
de la maison d arret ou il est detenu pour y
rester comme en maison de justice et que ladite
ordonnance sera notifiée. Fait au Cabinet
de l accusateur public le vingt germinal l an deux
de la republique une et indivisible
A Q Fouquier
Le tribunal faisant droit sur le requisitoire de
l accusateur public lui donne acte de l accusation
===
par lui portée contre ledit chamburre ?
ordonne qu a la diligence du requerant et par l huissier
porteur de la presente ordonnance ledit chamburre sera
pris au corps et ecroué sur les registres de la maison
d arret ou il est détenu pour y rester comme en
maison de justice et que la presente ordonnance
sera notifiée fait et jugé au tribunal
le vingt germinal l an deux de la republique une
et indivisible par les citoiens juge soussigné
===
Pierre Hugues travaille dans les Postes. Quand la Révolution éclate, il est directeur des postes à Viteaux. En février 1792, on le retrouve Commis au bureau de l’Inspection Générale des Postes de Paris, selon un courrier trouvé dans le dossier du procès.
Il y travaille sous les ordres de François-Claude Comparet, inspecteur général des postes de Paris. Il semble qu’on discute au bureau de la situation politique en France, et peut être un peu trop librement, puisque les employés travaillant sous les ordres des deux hommes vont tour à tour les dénoncer.
Le 17 ventôse an II, François-Claude Comparet est condamné à mort par le tribunal révolutionnaire de Paris pour intelligences avec les ennemis de l’intérieur comme de l’extérieur. (7)
Le même jour, le comité révolutionnaire fait perquisitionner la maison de Pierre Louis. Son épouse est seule présente, Pierre Hugues a changé de travail, il est désormais commis aux subsistances de l’armée, à Arras. Il est probable qu’il espère ainsi échapper à des poursuites qui n’ont que peu d’objet, quand on lit les pièces du procès. Malheureusement, le comité révolutionnaire décide de faire arrêter Pierre Hugues à Arras, et le fait ramener à Paris, où il est emprisonné puis jugé.
J’ai lu attentivement les pièces du procès, et je n’ai pas vu grand chose qui mérite un procès, surtout avec la guillotine au bout de la route. Peut être Pierre Hugues a t’il tenu des propos quelque peu tendancieux, il était visiblement plutôt royaliste, par habitude, mais rien ne prouve qu’il ait fait passer quelque message que ce soit au prince de Condé, comme on l’en a accusé. S’il y avait une preuve manifeste, ou un témoignage vraiment crédible, elle serait dans le dossier. Ce n’est pas le cas, mais le sieur Antoine Quentin Fouquier de Tinville, dit Fouquier Tinville, ne s’encombre pas de preuves.
Ce printemps 1794 est particulièrement occupé pour l’accusateur public. Les procès importants s’enchainent, Hébert, Danton, Desmoulins, les fermiers généraux et Lavoisier. (8) Entre deux gros procès médiatisés, quelques pauvres malheureux dont les torts sont plus imaginaires que prouvés sont jugés.
C’est ainsi que le 27 germinal an II – soit le 17 avril 1794 – le tribunal révolutionnaire, suite à l’acte d’accusation signé par Fouquier Tinville, condamne Pierre Hugues à la peine de mort. Son jugement ne mérite même pas un paragraphe dans l’Histoire du Tribunal Révolutionnaire que j’ai parcouru …. Le 27 germinal, le jour même de son jugement, Pierre Hugues est exécuté sur la place de la Révolution, l’actuelle place de la Concorde, là même où Louis XVI, Marie Antoinette et les girondins ont été exécutés. Ses biens sont saisis par la République. Je n’ai pas encore retrouvé où la dépouille du jeune guillotiné a été inhumée …
« LouisXVIExecutionBig » par Graveur; Isidore-Stanislas Helman (1743-1806?). Graveur (eau-forte); Antoine-Jean Duclos (1742-1795). Illustrateur; Charles Monnet (1732-180.?). — Bibliothèque nationale de France. Sous licence Public domain via Wikimedia Commons.
J’ai indiqué dans les sources quelques sites proposant des biographies de Fouquier Tinville, qui sera rattrapé par la Révolution et à son tour jugé et condamné à la guillotine le 7 mai 1795. Il sera resté environ une année accusateur public et aura envoyé 2 627 personnes à l’échafaud. Son nom est resté gravé dans l’histoire comme symbole d’une justice aveugle et expéditive, symbole de la Terreur dont il n’était pourtant comme il l’a dit que l’instrument, et pas la tête pensante.
[Pierre Hugues Pelletier de Chambure]
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