En mai 1706, Anne Crelot fait donation à sa fille Anne Angélique Goret d’une rente de mille livres annuels à prendre sur une rente lui appartenant en tant que légataire universelle d’un certain Ange Lolly.
Les prevots des marchands et
eschevins de cette ville, par contract
passé devant Cliquet et Taillardie notaires
à Paris le vingt troisiesme jour de
febvrier mi sept cent, appartenant a
ladite Démoiselle Creslot comme legataire
universelle d’Ange Lolly. …..
Mais qui est donc ce Ange Lolly que je n’ai encore jamais rencontré dans l’arbre de mon mari ?
Dans les très nombreux résultats remontés par Google se trouve un livre de droit publié en 1710, compilant différents arrêts de cours de justice du royaume.
C’est à partir de la page 544 que nous sont exposées les circonstances du procès ayant conduit le Parlement de Paris en sa Grand Chambre à publier le 26 mars 1706 un arrêt portant sur la question suivante : « Si l’on peut attaquer un legs sous pretexte que la légataire a vécu dans le libertinage avec le testateur, lorsque le mari de cette légataire ne se plaint pas de sa conduite »
die Italienne, estant venu en France avec sa femme, prit
des Lettres de Naturalité; de son mariage il eut trois enfans,
qui se retirèrent dans les Pays Etrangers.
Après la mort de sa femme, il se mit en pension chez la
Dame de …. qui estoit séparée de biens d’avec son mary.
Elle prit tous les soins imaginables de son Pensionnaire,
que son grand âge avoit rendu tres infirme.
Avant que de mourir Ange Lolly fait un Testament, par
lequel il institue cette Dame sa légataire universelle.
Pierre Lolly frère du deffunt estant le seul en France qui
pust recueillir sa succession, la Légataire obtint contre luy
une Sentence du Chastelet, qui luy fit délivrance de son legs,
en consequence elle se mit en possession des biens du Testa-
teur.
Jean Lolly son fils, un don des biens de la succession d’Ange
Lolly, il fait enregistrer son don à la Chambre du Domaine,
et y presente sa Requeste, à ce qu’il loy fust permis de faire
preuve de l’indignité de la Legataire, qui soûtenoit avoir
vécu en adultère avec Ange Lolly, et des recelez par elle com-
mis des effets de la succession du Testateur.
permet au Donataire du Roy, de faire preuve ddes faits con-
tenus dans sa Requeste, à la Legataire de faire preuve
contraire. Appel de cette Sentence porté à l’Audiance de la
Grand-Chambre. »
Accordez moi une minute pour reprendre mes esprits après le fou rire que j’ai à chaque fois que j’imagine l’honorable Anne Crelot, la cinquantaine bien tassée, paroissienne assidue de Saint Eustache, vivant avec au moins trois de ses filles, Geneviève, Anne Angélique et Charlotte, rue du Croissant dans la maison qu’elle a achetée avec probablement l’héritage de son père, chirurgien anobli par le duc de Lorraine, se livrant avec l’accord de son mari, ingenieur travaillant pour la marine royale à Toulon, à des galipettes avec un vieil acteur italien de près de 80 ans ….. C’est mieux que lire Gala en cachette chez le coiffeur …
Par Maurice Sand — SAND Maurice. Masques et bouffons (Comedie Italienne). Paris, Michel Levy Freres, 1860 – from de:wikipedia de:user:Eisenacher at 02:32, 11. Mär 2006, Domaine public, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=1188832
J’entends vos objections. Où est la preuve que la Dame de …. est bien mon Anne Crelot ?
Certes, Anne Crelot n’est pas mentionnée directement dans l’ouvrage, mais il n’y a aucun doute sur son identité.
- Commençons par le domicile du testateur et de la légataire. Sur Gallica, dans le Dictionnaire critique de biographie et d’histoire, on peut lire une biographie d’Ange Lolly, comédien du Théâtre Italien, mort le 4 novembre 1702 âgé de 80 ans ou environ, demeurant rue du Croissant.
Anne Crelot habite aussi rue du Croissant, comme l’attestent les nombreux actes notariés que j’ai trouvés la concernant. C’est rue du Croissant qu’elle va faire son testament, et que sera fait l’inventaire après décès de ses biens, entre autres.
- Les relations conjugales de la légataire. Anne Crelot, tout comme la Dame de … mentionnée dans l’ouvrage de droit, est séparée de biens de son mari Mathurin Goret, et cette information aussi est mentionnée dans tous les actes notariés la concernant que j’ai retrouvés pour l’instant.
- Anne Crelot est mentionnée comme légataire universelle d’Ange Lolly dans au moins deux documents notariés de 1705 et 1706, la donation qu’elle fait à sa fille Anne Angélique et le contrat de mariage de sa fille Geneviève.
Je vais essayer de mettre la main sur ce procès, mais la tâche n’a pas l’air simple.
En attendant, pour moi il n’y a aucun doute, Pierre Lolly, frère d’Ange, a bien intenté un procès à Anne Crelot pour tenter de récupérer l’héritage de son frère. Et le motif qu’il utilise met en cause l’honorabilité de toute la famille, puisqu’il prétend qu’Anne avait des relations libertines et adultérines avec Ange, et qu’elle a ainsi mis la main sur l’héritage .
C’est clairement la question de l’adultère éventuel qui se pose ici. Si Anne Crelot a eu des relations adultérines avec Ange Lolly, elle n’est pas digne de recevoir cet héritage. Pour l’avocat général Portail, s’il y a adultère ou libertinage, seul le mari peut s’en plaindre. Bon, une fois qu’on a parlé de la forme, des écrits sont produits : lettres des enfants de Lolly qui remercient Anne Crelot des soins qu’elle a apportés à leur père, certificats des prêtres de sa paroisse, Saint Eustache, établissant sa bonne conduite et la régularité de ses moeurs. Elle a été plusieurs fois dame de la charité, on lui a confié le soin des pauvres. Il est peu probable pour son entourage qu’Anne Crelot se soit livrée à des actes de libertinage ….
Et pourtant, 300 ans plus tard, je peux encore trouver des traces de ce procès que j’imagine nauséabond et déplaisant pour ceux qui l’ont vécu.
J’ai commencé à découvrir cette histoire par la fin, par la décision de la Grand Chambre du Parlement en faveur d’Anne Crelot. Mais ma curiosité est piquée, je vais essayer d’en retrouver certaines pièces, si j’arrive à trouver mon chemin dans les archives judiciaires de l’époque. Et en attendant, je savoure cette anecdote, qui m’a offert un billet que j’ai hésité à titrer L comme Libertinage.
[Anne_Crelot_Sosa_2767]
Sources et liens
- Gallica – Dictionnaire critique de biographie et d’histoire – page 793
- Gallica – Recueil alphabétique des questions de droit qui se présentent le plus fréquemment dans les tribunaux – Tome 1 – page 38
- Wikipedia – Commedia dell’arte
- Google Books – Arrets notables des différents tribunaux du royaume – 1710 – page 544 et suivantes
- Wikipedia – Parlement de Paris
- Google Books – Des successions, selon le droit, ancien, intermédiaire et nouveau – Volume 3 – page 82
- Google Books – Le monde dramatique – Volume I
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