L’un des interêts d’une branche parisienne bourgeoise avant la Révolution, pour un généalogiste, c’est le plaisir de la découverte de métiers inconnus et incongrus, glânés au hasard des actes notariés.
C’est dans le contrat de mariage de Louis Lebois Duclos et Louise Deshayes que j’ai fait la connaissance de la famille de Louise, et en particulier de son père Pierre Deshayes (1). J’ai eu un peu de mal à déchiffrer sa profession, mais comme souvent, Twitter m’a vite apporté une réponse.
Un panacher, mais qu’est ce donc ?
Voici ce qu’on trouve dans l’Encyclopédie de Diderot concernant la profession de plumassier, plus ou moins équivalente à celle de panacher.
PLUMASSIER, s. m. (Art. méchaniq.) est celui qui fait & vend des ouvrages de toutes sortes d’oiseaux, comme capelines, panaches, bouquets de lits de dais, tours de chapeaux, &c. voyez Capelines, Bouquets, Panaches, Tours de chapeaux , &c. Les Plumassiers prennent aussi le nom de panachers de celui de panache, qui est un des principaux objets de leur art.
Leur négoce consiste en plumes d’autruche, de héron, d’aigrettes de queues de paon, & de toutes sortes d’autres plumes fines qui servent à la parure & à l’ornement.
[su_accordion][su_spoiler title= »Lire tout l’article de l’Encyclopédie »]Telles sont à – peu – près les principales opérations des Plumassiers, & les différentes facons qu’ils donnent aux plumes avant de les monter, selon l’ordre dans lequel on va les lire.
Après avoir recu les plumes de la premiere main, ils les savonnent dans plusieurs eaux pour les dégraisser, les lavent dans une eau claire, les teignent, les blanchissent pour ôter le gros de la teinture, les mettent en craie, les relavent encore dans plusieurs eaux, les mettent au bleu, les ensoufrent; ensuite ils les dressent pour écarter les franges & voir leur largeur, les frisent s’il le faut, les assortissent selon la grandeur & la couleur qui leur convient; & enfin les montent en tel ouvrage que ce soit. Voyez chacun de ces mots à son article.
Les maîtres Plumassiers n’ont été érigés en communauté & en corps de jurande que sous le regne de Henri IV. Leurs lettres d’érection & leurs statuts sont du mois de Juillet 1599, confirmés par Louis XIII. en 1612, & par Louis XIV. en 1644. Ils n’ont que deux jurés, dont l’un s’élit tous les ans. Leur fonction est de prendre soin des affaires de la communauté, de faire les visites, de veiller sur les apprentis, de leur donner chef – d’oeuvre, & d’assister au serment qu’ils prêtent devant le procureur du roi au châtelet, s’ils sont jugés capables, & de leur délivrer des lettres de maîtrise.
Chaque maître ne peut avoir qu’un apprenti obligé pardevant notaire, au – moins pour six ans; ils peuvent toutefois en recevoir un second à la fin de la quatrieme année du premier.
Pour qu’un apprenti qui se présente pour la maîtrise soit admis au chef – d’oeuvre, il doit avoir servi chez les maîtres en qualité de compagnon pendant quatre ans après son apprentissage. Les fils de maître sont dispensés du chef – d’oeuvre, ainsi que ceux qui épousent leurs veuves ou leurs filles.
Les assemblées générales sont composées des jurés qui y président, de tous les bacheliers, c’est – à – dire, de tous ceux qui ont passé par la jurande, de six maîtres qui ont été administrateurs de la confrérie & des deux modernes. Les jeunes maîtres peuvent aussi y assister, mais on n’est point tenu de les avertir.
Enfin, il n’y a que les maîtres de cette communauté qui aient la faculté de faire tout ouvrage de plumes de quelques oiseaux que ce puisse être.
Il leur est néanmoins défendu de méler aucunes plumes de héron faux parmi celles de héron fin, & des plumes de vautour, de héron, d’oie, avec celles d’autruche, si ce n’est dans les ouvrages de ballets & de mascarades.[/su_spoiler][/su_accordion]
Pierre Deshayes est-il maitre plumassier ? Il est indiqué dans les actes que j’ai trouvés comme marchand panacher, j’ignore quelles vraies différences il y a entre les deux dénominations. Mais le fait est qu’il vend des plumes à ces messieurs et ces dames de la noblesse et de la haute bourgeoisie, à une époque, le siècle de Louis XIV, où il est de bon ton d’avoir un « truc en plume ».
Les costumes de scène de Louis XIV lors des fêtes qu’il organisait à Versailles sont ornés de plumes extravagantes, signes de la position sociale de l’individu qui les porte. Qui irait s’occuper d’une telle frivolité quand il n’arrive pas à nourrir sa famille ?
Le panacher travaille donc dans le domaine de la mode et du luxe. Un précurseur de Karl Lagerfeld, plus ou moins …..
Grâce au contrat de mariage de Louise Deshayes, et à l’inventaire après décès de son père Pierre (2), qui est mort le 8 mai de la même année, une semaine avant le contrat de mariage de sa fille …. , j’en sais un peu plus sur la vie professionnelle de Pierre Deshayes.
Pierre Deshayes réside et tient commerce dans une maison de trois étages située sur le Pont Notre Dame, paroisse Saint Jacques de la boucherie. La boutique est au rez de chaussée sur le pont. A l’entresol une cuisine, au premier étage l’équivalent de deux pièces de vie, au second étage la chambre où Pierre Deshayes est décédé.
Dans un des actes concernant Louis Lebois Duclos, futur gendre de Pierre Deshayes, je sais qu’il habite avec son épouse Louise Deshayes « au bout du pont Notre Dame ». Quant à la paroisse Saint-Jacques de la Boucherie, elle correspond à l’église Saint Jacques, dont il ne reste aujourd’hui que la Tour Saint Jacques.
Pierre Deshayes a acquis le droit de bail de sa boutique et de son commerce par acte notarié de septembre 1658, inventorié dans son inventaire après décès, et paie un loyer de 500 livres par an pour occuper la maison et la boutique. Il emploie dans sa boutique comme garçons panachers deux de ses neveux : Charles Deshayes et Blaise Duhamel, et probablement également son fils Pierre, qui dans le contrat de mariage de sa soeur Louise est dit marchand panacher bourgeois de Paris, titres qui étaient attribués au début de l’inventaire à son père mort quelques jours plus tôt .
Le commerce semble être florissant, il y a beaucoup de tableaux – tous semble t’il d’inspiration religieuse – et une vaisselle d’argent plutôt abondante.
Le notaire fait également l’inventaire dans les papiers de différentes créances détenues par Pierre Deshayes sur certains de ses clients : monseigneur Louis duc de Bourbon, prince de Condé pour 6000 livres ; le marquis d’Alluye pour 2080 livres, pour mentionner les plus importantes créances.
Après les papiers, le notaire inventorie la boutique, et le stock des plumes en attente d’utilisation, sur des pages et des pages, mais le clerc qui rédige l’acte écrit tellement mal que la transcription est très compliquée.
Je ne sais pas si Pierre Deshayes fils a longtemps continué l’activité de son père, ce sera une piste de recherches à suivre un jour, plus tard. En attendant, je compte bien retrouver l’acte d’achat du droit de bail lors d’une prochaine visite au CARAN.
De nos jours, il reste quelques plumassiers qui travaillent uniquement dans le domaine du luxe et bien sûr du spectacle. Imaginez les girls du Lido ou du Moulin Rouge sans leurs plumes, la vie nocturne parisienne n’aurait pas la même saveur.
[Pierre_Deshayes_Sosa_5530]
Sources et liens
- Archives Nationales – Minutier central des Notaires _ LXXXV_203 – 14/05/1673
- Archives Nationales – Minutier central des Notaires _ LXXXV_203 – 13/05/1673
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