Comme souvent pour les ancêtres parisiens de mes enfants, tout commence par un long travail de lecture des répertoires en ligne des notaires parisiens. De temps à autre, je consacre une ou deux heures à éplucher quelques années d’un répertoire d’un notaire auprès duquel la « famille » a passé un ou plusieurs actes, à la recherche d’une éventuelle piste. Il est rare que je trouve quelque chose, mais parfois, heureusement, c’est le cas.
J’ai ainsi trouvé au printemps de 2017 mention d’une Constitution faite par les deux soeurs Lebois Duclos à un certain Taschereau dans le répertoire de Nicolas Laisné, en 1732. A première vue, rien de palpitant dans cet acte.
Les soeurs Lebois Duclos, Marie Madeleine et Louise, sont deux des filles de Louis Lebois Duclos et son épouse Louise Deshayes, les Sosa 2764 et 2765 de mes enfants, et donc les soeurs de François Lebois Duclos, Sosa 1382. Je sais déjà que Marie Madeleine et Louise ne se sont jamais mariées, que les trois filles de François – Catherine, Marie Thérèse et Angélique Madeleine – ont hérité de leur tante Marie Madeleine, et que la fille de Catherine Lebois Duclos, petite fille de François Lebois Duclos, Angélique Landes, a été dotée par sa grand tante Louise quand elle a épousé Hugues Pelletier de Chambure.
Je ne suis pas très sûre de ce que cet acte de constitution – comprenez constitution de rente au profit d’un tiers – pourra m’apporter, mais tout détail, même infime, peut ouvrir de nouvelles pistes quand on fait des recherches sur des ancêtres parisiens au 18è siècle.
J’ai donc consulté l’acte aux Archives Nationales, je l’ai photographié, lu en diagonale, soigneusement rangé dans le répertoire adhoc sur le disque dur de mon ordinateur ….. et je suis passée à autre chose.
Maintenant que le ChallengeAZ 2018 est terminé, j’ai ressorti certains actes en attente de transcription, et j’ai commencé à travailler sur cette constitution du 1er mai 1732.
Deux jours de paléographie plus tard, me voici devant un acte à tiroir. Si la constitution de rentes est bien datée du 1er mai 1732, elle se réfère à un autre acte, de 1715, qui repose lui sur un acte encore antérieur , de 1708 …. Notons que la copie authentique – faite par le notaire – de l’acte de 1715 est annexée à l’acte de 1732. Bref, j’ai deux actes pour le prix d’un seul. Pour comprendre à quoi cet acte – bien moins simple que je l’avais cru au départ – se réfère, et qui sont les protagonistes, j’ai fait une carte mentale.
Si vous trouvez que c’est compliqué, imaginez à quoi ca ressemble en langage juridique du 18e siècle, écrit à la main par Nicolas Laisné, notaire, ou un de ses scribes …
Reprenons donc l’histoire que nous racontent ces deux actes en un seul, chronologiquement.
Les passages en gras concernent des informations généalogiques découvertes grâce à l’acte.
Le 18 juin 1708, Louis Lebois Duclos emprunte auprès de René Taschereau une somme de deux mille livres, que son gendre, Pierre François Deshayes, avocat au parlement, époux de sa fille Anne, s’engage à payer solidairement.
Les 10 et 20 décembre de la même année 1708, Louis Lebois Duclos fait deux remboursements, pour la somme totale de 370 livres. En nantissement du paiement du reste de la somme, Louis Lebois Duclos a remis à René Taschereau deux billets datés du 16 août 1708, payables le 16 août 1709, reçus de quatre personnes solidairement, pas encore totalement identifiées, pour un montant de 1400 livres, reçus par Louis Lebois Duclos en paiement de la vente des offices d’inspecteur et controleur des domaines alliénés d’Orleans et de Chalons. Mais ces deux billets n’ont pas été honorés par les débiteurs de Louis Lebois Duclos, qui doit 1600 livres qu’a priori il n’a plus les moyens de rembourser.
René Taschereau décède, et selon son testament en date du 3 mai 1709, ses deux frères, Christophe Taschereau et Thomas Jacques Taschereau, héritent de ses biens, dont ce fameux billet de Louis Lebois Duclos, garanti solidairement par Pierre François Deshayes, et nanti par deux billets à l’ordre de Louis Lebois Duclos, non honorés.
Pierre François Deshayes décède, et quelques jours plus tard, le 15 juillet 1712, Anne Lebois Duclos sa veuve fait faire l’inventaire après décès des biens de son mari et renonce à la communauté de biens qu’elle avait avec lui en vertu de leur contrat de mariage. En théorie, elle n’est donc plus débitrice des dettes de son mari décédé, et elle est créancière de la succession pour en récupérer la dot apportée lors du mariage, et l’éventuel douaire qui y est prévu.
Christophe Taschereau est désormais décédé, et Thomas Jacques Taschereau fait une action en justice, en son nom et celui de son neveu Christophe François Taschereau, contre Louis Lebois Duclos et sa fille Anne, veuve Deshayes, pour récupérer la créance héritée de son frère.
En théorie, Anne n’est plus solidaire de cette dette, mais pour arrêter les poursuites, et les frais de justice, le 3 novembre 1715 elle passe devant maitre Touvenot, notaire à Paris, un accord avec Thomas Jacques Taschereau, dans lequel son père Louis est inclus. C’est cet accord dont une copie est incluse dans la constitution de 1732 que j’ai photographiée en juin 2017 au CARAN.
Dans cet accord, dans lequel on apprend que son fils qu’elle a eu avec Pierre François Deshayes est maintenant décédé, elle s’engage solidairement avec son père au paiement d’une dette de 1630 livres envers les sieurs Taschereau. Mais ce paiement, s’il n’a pas lieu de son vivant, ne sera exigible auprès de ses héritiers à elle Anne – qui doit avoir entre trente et quarante ans au plus – que deux ans après son décès.
Louis Lebois Duclos décède, sans que les actes permettent d’en savoir plus sur la date de ce décès.
Anne Lebois Duclos décède à son tour, au moins 2 ans avant le 1er mai 1732, donc au plus tard au début de 1730.
Ses deux soeurs, Marie Madeleine Lebois Duclos et Louise Lebois Duclos, héritent alors d’ Anne, et il leur appartient d’enfin régler le problème de cette dette impayée qui a déjà 24 ans ….. Et c’est alors que l’acte du 1er mai 1732 est enfin rédigé et signé. Il utilise la possibilité qu’avait exigée Anne dans l’acte de 1715 que la dette encore due soit transformée en une rente versée au sieur Taschereau.
Il a donc fallu 24 ans pour que la dette de Louis Lebois Duclos soit prise en compte et « remboursée » par ses filles.
Dans la chronologie et l’analyse de l’acte que je viens de faire, j’ai indiqué en gras les informations que j’ai apprises grâce à cet acte, que je vais pouvoir intégrer dans mon arbre, et qui vont me donner de nouvelles pistes de recherche :
- Anne Lebois Duclos, soeur ainée de François Lebois Duclos, est mariée avec Pierre François Deshayes
- Louis Lebois Duclos a détenu à une certaine période, jusqu’en 1708, des offices d’inspecteur et controleur des domaines aliénés à Orléans et à Chalons. Cela correspond avec l’information indiquée dans le contrat de mariage de François Lebois Duclos avec Anne Goret, en décembre 1707, où il était indiqué que Louis Lebois Duclos était « intéressé aux affaires du roi », et au fait que François et Louise, deux des enfants de Louis Lebois Duclos et Louise Deshayes, sont effectivement nés à Orléans.
- Pierre François Deshayes décède en 1712 et un inventaire après décès est réalisé; l’acte me donne les renseignements nécessaires pour m’en procurer une copie numérique.
- Le fils unique d’Anne Lebois Duclos décède avant novembre 1715
- Louis Lebois Duclos décède entre novembre 1715 et mai 1732
- Anne Lebois Duclos décède au plus tard deux ans avant mai 1732
De nombreuses questions restent sans réponse, et certaines questions nouvelles viennent s’ajouter à la liste.
- Comment retrouver les titres d’achat et de vente des offices que Louis Lebois Duclos a dû détenir, et qui m’apporteraient des informations intéressantes sur sa vie ?
- La rente accordée par les soeurs Lebois Duclos au sieur Taschereau est dite perpétuelle, elle se monte à 81 livres dix sols annuellement, payable tous les six mois, et calculée comme prévu dès l’accord de 1715 au denier vingt, c’est à dire à un taux de 5%. Un rapide calcul m’indique qu’un taux de 5% sur un montant de 1630 livres correspond bien au montant versé annuel de 81,50 livres. Selon la pratique de l’époque, en l’absence de système bancaire, c’est la rente constituée – ou constitution – qui permet aux emprunteurs de se financer auprès d’autres particuliers. Les emprunts qu’ils font sont nantis en théorie par des biens immobiliers, et le remboursement du capital ne peut pas être exigé par le prêteur. C’est l’emprunteur qui choisit quand il va rembourser sa dette. Le prêteur peut céder à un tiers la rente qu’il détient, comme on le lit fréquemment dans les registres des notaires, sous le titre de « transport de rente ». Quand les soeurs Lebois Duclos ont elles donc remboursé cette dette, dont je n’ai pas vu la trace dans les actes notariés à la suite du décès de Marie Madeleine ? Il est probable que je n’ai pas trouvé tous les actes de cette période.
- Le 19 mars 1725, le notaire Pierre Caillet a rédigé un acte de notoriété dans lequel il est précisé que Pierre Deshayes et son épouse Anne Lebois Duclos, époux décédés, n’ont pas eu de postérité, et que l’héritière d’Anne Lebois Duclos, dernière décédée, est sa mère Louise Deshayes. Anne est donc morte avant mars 1725, et non vers 1730. Je déduis également de cet acte que son père, Louis, est aussi décédé avant mars 1725, et que sa mère, Louise Deshayes, est décédée entre mars 1725 et mai 1732, puisque ce sont désormais les soeurs d’Anne, et filles de Louise, qui sont les héritières. J’en déduis aussi qu’il doit y avoir d’autres actes fort intéressants pour la compréhension de l’histoire de cette famille qui se cachent encore dans les registres du Minutier Central.
Pour la petite histoire, j’ai voulu savoir qui était Thomas Jacques Taschereau, à qui cette rente de 81 livres allait être payée.
C’est Geneanet qui m’a tout de suite donné une réponse particulièrement intéressante. Thomas Jacques Taschereau est né le 26 août 1680 à Tours, fils de Christophe Taschereau, sieur de Sapaillé, et de Renée Boutin. Agent des trésoriers généraux de la Marine Royale, c’est au Canada que sa vie va se dérouler à partir de juin 1726, et il va contribuer au développement de la Nouvelle-Beauce, province du Quebec. C’est un des personnages historiques du Quebec, à l’origine d’une lignée quebecoise connue et qui a croisé dans les études notariales parisiennes les ancêtres de mes enfants.
Liens et sources
- Archives Nationales – CARAN – MC-ET-XIV-281
- Wikipedia – Rentes constitutées
- Telecharger l’acte notarié – [wpdm_package id=’15568′]
- Telecharger la transcription de l’acte – [wpdm_package id=’15571′]
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