Guillaume Chaix, du blog Le Grenier de nos ancêtres, nous propose chaque mois un défi d’écriture généalogique original. Il s’agit de raconter notre rencontre avec l’un de nos ancêtres . Voici ma première contribution.
Cette nuit, j’ai rêvé de toi, Catherine, toi mon aïeule à la 8ème génération, mariée avec un homme déjà veuf et qui avait plus de deux fois ton âge. Vue de mon 21ème siècle, ta vie sur le papier, à travers ces quelques actes qui la résument, heurtait mes convictions féminines. Moi qui appartiens à cette première génération de jeunes filles qui ont gagné le droit légal de choisir quand elles voulaient avoir des enfants, j’ai toujours du mal quand je vous rencontre, vous toutes mes aïeules à qui aucun choix n’a été laissé. J’ai envie de vous protéger, de vous défendre, de vous consoler de vos vies dont je ne vois souvent que la tristesse et les drames. Il est rare qu’on perçoive l’amour ou le bonheur au détour d’une page de registre paroissial.
Hier, j’ai travaillé sur le contrat de mariage que ta mère Marie Bourdault, a passé en ton nom – Catherine Bazille – et en ta présence le 29 avril 1779, devant Michel Petit, notaire à Parthenay, avec Pierre Alnet. J’ai sans doute trop pesté à déchiffrer l’écriture peu soignée du notaire, à tenter de transcrire ces lignes si difficilement lisibles. Je me suis endormie avec les formules classiques des contrats de mariage de ton époque qui dansaient dans mon cerveau : usufruit, partage d’icelle, leur ditte communauté, sans enfant dudit mariage, avantager la ditte future …..
Le salon de la maison de François Bontemps, cuisinier-patissier-traiteur à Parthenay, au-dessus de sa boutique qui fait l’angle de la rue des 3 rois et de la rue du bel ange – rebaptisée rue Jean Jaurès par mes contemporains – n’est éclairé que parcimonieusement en ce début d’après midi du 29 avril 1779. Malgré les deux hautes fenêtres de la pièce, les rues étroites de la vieille ville de Parthenay ne laissent pas entrer le soleil à flot. Quelques chandelles dans leurs chandeliers éclairent principalement la table de bois massif autour de laquelle sont installées quelques personnes que je dévisage avec curiosité. Cachée près du haut buffet, perdue dans la pénombre, personne ne va me voir.
Michel Petit ainé, notaire au duché pairie de la Meilleraie, est assis à la table, le chef orné d’une perruque, devant quelques feuilles de papier. Il est le seul dans la pièce à porter perruque, les autres hommes ont posé sur les chaises et la table leurs couvre-chefs : le bonnet de François Bontemps, citadin, traiteur en vue dans la vieille ville de Parthenay, qui s’enorgueillit de fournir quelques tables nobles et bourgeoises de la ville; le chapeau traditionnel du paysan gâtinais, que porte habituellement Pierre Alnet, et sous lequel ses cheveux gris blancs sont mi longs; la coiffe de chanoine de Jacques Bazille, ton cousin germain, Catherine.
Tu es venue de la Maladrerie, paroisse du Sepulchre, avec ta mère ce matin, il y a moins d’une lieue de marche, et tu connais bien la petite ville qui t’a vue grandir. Toutes deux vous avez mis votre belle coiffe du dimanche, votre joli châle coloré et un tablier blanc bordé de dentelle sur votre robe grise de bonne toile solide. A sa mort, ton père Gabriel Bazille vous a laissé une certaine sécurité matérielle, mais il faut pourtant faire attention à tout et éviter toute dépense inutile. Tu auras probablement une nouvelle coiffe pour le jour de ta noce.
Assise sur la chaise la plus confortable, mais la moins proche du notaire, trône Marguerite Caillon, la maitresse de maison, l’épouse de François Bontemps, ta cousine germaine. Les affaires de son mari sont florissantes, cela se voit dans sa tenue, un peu plus clinquante que celle de ta mère et la tienne.
S’il y a d’autres personnes à ce contrat de mariage, ils n’ont pas été nommés dans l’acte que j’ai laborieusement déchiffré, et ne sont donc pas venus visiter mon rêve.
C’est toi Catherine que j’observe, toi qui ne bouges pas, qui observes ce qui se passe, sans dire un mot. Les négociations et les arrangements de ce mariage ont déjà eu lieu. L’homme que tu dois épouser prochainement, tu le connais un peu. Tu sais qu’il a enterré à l’été dernier sa seconde épouse, avec laquelle il n’a pas eu d’enfant survivant. Veuf de 66 ans, il ne cherche pas une épouse pour élever sa marmaille, les enfants survivants de sa première épouse sont adultes, plus vieux que toi, et déjà largement installés. Ce n’est pas une servante que cherche cet homme, et tu n’es plus tout à fait une enfant, du haut de tes 28 ans.
Le notaire explique une dernière fois les termes du contrat. Ton père vous a laissé, à tes frères, soeurs, et toi, ses biens, dont la métairie de la Maladrerie, en indivision, avec l’usufruit accordé à ta mère jusqu’à sa mort. Quand elle décèdera, il vous appartiendra de revendre le tout et de vous le partager. Tu as une première dot par preciput de 300 livres. Cela ne fait pas de toi une riche héritière, mais tu n’arrives pas les mains vides dans ce mariage.
Ton futur mari en revanche apporte dans la communauté du mariage la somme de 5000 livres, en meubles, terres et monnaie sonnante et trébuchante. Lors de son second mariage, à la demande de ses enfants du premier mariage, il a dû partager ses biens et préparer sa succession. Le patrimoine qu’il apporte aujourd’hui à l’occasion de votre mariage, il lui appartient en propre, hors de la succession de Louise Girault, sa première épouse. Il lui vient de sa communauté avec Marie Vivien, sa seconde épouse, sans enfant survivant. Il peut donc en disposer librement, et pour montrer combien ce mariage lui est important, il fait mettre par écrit qu ‘à son décès, tu auras quoiqu’il arrive la jouissance de la somme de 3000 livres.
Le notaire appelle enfin à signer l’acte qu’il vient de rédiger. Je me demande si les participants sont vraiment capables de relire ce galimatias sans hésiter ….. mais ils acquièscent et signent, Pierre Alnet, le futur mari, Marie Bourdault, la mère de la future mariée, Jacques Bazille, prêtre chanoine de Sainte Croix, François Bontemps, Michel Petit le notaire, et un certain Verrière que je n’ai pas encore rencontré dans ta généalogie, et qui n’est pas mentionné dans l’acte – du moins pas dans les passages que j’ai réussi à transcrire. Les deux seules personnes à ne pas signer, ce sont Madeleine Caillon, ta cousine, et toi Catherine. Pourquoi ta mère qui sait signer n’a t’elle pas fait en sorte que tu le saches aussi ? Ta soeur Thérèse sait signer, j’ai déjà lu sa signature au bas d’actes de baptême. Ta mère, ta soeur, mais pas toi ? Pourquoi Catherine ?
J’écoute attentivement ce qui se dit autour de cette table, je t’observe et je ne suis pas sûre de ce que je dois penser. Je te croyais victime, maintenant je ne sais plus. Dans mon monde, tu n’accepterais probablement pas ce mariage, mais dans mon monde, tu aurais appris à lire, écrire et signer, tu n’aurais pas à obéir à ta mère, tes frères, ton mari en toute chose. Qu’il est difficile de se mettre à ta place d’où je suis.
Ta famille est solide, implantée depuis longtemps dans la petite bourgeoisie de Parthenay. Les témoins qui assistent au contrat, le chanoine prêtre de Sainte-Croix, ton cousin germain Jacques Bazille, et le traiteur François Bontemps, l’époux de ta cousine germaine, par leur présence donnent du poids à ta position dans ce mariage. Certes, tu vas épouser un vieux monsieur, mais tu n’entres ni démunie, ni sans appui dans ce mariage. Peut-être est ce pour toi une première étape vers une émancipation. Si ton futur mari décède avant toi, ce qui est probable à ton époque où on est un quasi-vieillard à 66 ans, tu seras libre de décider de la suite de ta vie.
A ce stade de la journée, je ne peux qu’espérer que ta nuit de noces et ta vie conjugale ne seront pas trop difficiles, mais là aussi je juge avec mon éducation, mon expérience, ma vie … Il ne me reste qu’à sortir de ce rêve et te laisser faire face à ton destin, sans en savoir plus sur toi, sur ce que tu penses et qui tu es, qu’avant notre rencontre.
Le mariage religieux sera célébré le 2 juillet 1779 à Chatillon-sur-Thouet.
Catherine Bazille va avoir 5 enfants avec Pierre Alnet, qui meurt le 13 avril 1791 à Chatillon-sur-Thouet, à 78 ans. Sa liberté ne va pas durer longtemps, puisqu’elle le suit dans la tombe le 22 janvier 1792, à seulement 41 ans.
[Catherine_Bazille_Sosa_467]
Sources, liens et remerciements
- Retrouvez les contributions des généalogistes qui participent au Rendez vous ancestral sur le blog dédié
- Relisez mon article consacré à Pierre Alnet
- Jacques Peret – L’organisation de la maison rurale dans un pays d’habitat dispersé : la Gâtine poitevine au XVIIIe siècle
- Le site incontournable pour les recherches en Gâtine – Histoire de la Gâtine Poitevine et de Parthenay, d’Albéric Verdon, largement mis à contribution dans cet article
- Contrat de mariage passé devant maitre Michel Petit ainé, notaire à Parthenay – Archives des Deux Sèvres cote 3E_2993
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