J’ai entrepris en août 2021 de vous raconter la vie de ma grand-mère maternelle, Marie-Rose Guignard. Retrouvez ici l’article que j’ai consacré à son enfance.
Le mariage
Revenons à cette journée du 15 novembre 1926, quand Marie-Rose épouse Achille Reau à l’église de Chalandray.
Après la cérémonie religieuse, la noce se rend à pied à Cramard, au Prieuré, où la fête aura lieu.
Les beaux-parents de Marie-Rose, François Reau et Clémentine Pelletier, vivent au Prieuré de Cramard, qui alors n’a pas été restauré et transformé en résidence secondaire, comme cela semble maintenant le cas. La famille exploite à ferme les terres appartenant à la bâtisse, et Clémentine s’occupe des pèlerins qui se rendent à la chapelle pour obtenir la guérison d’un de leurs enfants trop chétif.
La bâtisse du Prieuré est bien plus grande que les deux petites maisons de la famille Guignard à Latillé, il est bien plus facile de s’y réunir pour la noce.
C’est dans la cour, devant le bâtiment, qu’est prise la photo du mariage de mes grands parents, Marie-Rose et Achille.
J’ai réussi à identifier la presque totalité des invités à la noce, retrouvez ici l’article que j’avais consacré à cette recherche.
A Saumur
Marie-Rose a 18 ans et demi. Désormais elle vit à Saumur, où son jeune époux est maréchal des logis à l’école de cavalerie de la ville. Le couple habite 12 chemin du Bray.
En tant que pupille de la Nation, Marie-Rose peut prétendre à une aide pour s’installer dans sa vie d’adulte. Elle fait sa demande le 14 décembre 1926 et signe Mme Reau.
Une enquête est diligentée pour déterminer quelle somme peut être octroyée au jeune couple, un peu comme une dot qui leur serait versée.
Le résumé de l’enquête est conservé dans le dossier de pupille de la Nation.
Marie-Rose mariée le 15 nov. 1926 – Achille Reau – mal des logis école de cavalerie de Saumur – ss officier rengagé – Originaire de Chalandray ( exactement de Cramard ) Ses parents sont fermiers chez M. Boineau. Petite ferme.
Mme Vve Guignard habite Latillé.
Ressources . Rente de veuve : 1400 F –
Journalière 650 €
Mme Guignard vit seule.
Mr Reau père a 4 enfants dont 2 en bas âge.
Fermier chez M. Boineau depuis dizaine d’années. Avant il était journalier.
Excellent travailleur.
Une aide de 700 francs va être versée au jeune couple en février 1927.
Je n’ai pas encore pu localiser avec précision le « chemin du Bray » où habite le couple. D’après un entrefilet trouvé sur Gallica, dans ‘Le Cri d’Angers’, le chemin du Bray se trouve près de la levée, à proximité du nouveau stade du Sporting où ont lieu en 1912 des matchs de rugby.
Il est probable que ce chemin, dont le nom a dû être modifié depuis – se trouve dans le secteur des Huraudières, près de l’Ecole de Cavalerie.
Il est amusant de penser qu’Achille et Marie-Rose commencent leur vie de couple tout près du Thouet, cet affluent de la Loire qui avant d’arriver à Saumur a traversé la Gâtine, passant juste à côté du lieu-dit La Gandinière, dans la commune de Gourgé, là où leurs ancêtres communs, Louis Rault et Louise Dixneuf, se sont installés vers 1780, venant de Cholet, en Maine-et-Loire.
Sur la carte ci-dessous, j’ai retracé les quelques étapes de la vie de la famille entre 1780 et 1930, entre Cholet et Saumur.
Mais revenons à Saumur, à la fin des années 1920.
Le 11 janvier 1928, Marie-Rose met au monde son premier enfant, une fille qu’ils vont nommer Françoise. La petite fille vient au monde au 10 rue Bury, sans qu’il soit précisé si c’est le domicile de la famille. Ont ils déménagé ? La rue Bury, qui porte toujours le même nom aujourd’hui, est située un peu plus loin de l’école de cavalerie.
Treize mois plus tard, une seconde fille vient au monde, le 11 mars 1929, qu’ils nomment Monique. Cette fois ci l’acte de naissance précise que le lieu de naissance du nouveau-né, 6 Chemin Charnier, est le domicile des parents. Le couple a t’il déménagé trois fois en deux ans? Cette nouvelle adresse, 6 Chemin Charnier, est beaucoup plus proche de l’école de cavalerie. Aujourd’hui le Chemin Charnier porte le nom d’Avenue du Breil, et se situait probablement près du chemin du Bray, la première adresse indiquée.
Sur le plan de Saumur précédemment utilisé, j’ai surligné le Chemin Charrier.
Depuis fin juin 1928 Achille fait partie du corps des sous-officiers de carrière. De Saumur, la famille fait de fréquentes visites en Poitou, à Latillé ou Chalandray. Marie-Rose, qui a une solide formation de couturière, fait ses vêtements et ceux des petites filles, qui sur les photos sont toujours habillées de tenues semblables. Achille aime prendre des photos qu’il développe lui-même.
A Paris
En janvier 1933, Achille est détaché à la Direction de la Cavalerie et du Train, à Paris. Il travaille désormais au Ministère de la Guerre. La famille s’installe dans un petit appartement dans le 14e arrondissement, au 5 rue du général Séré de Rivière.
C’est là, à domicile, que vient au monde la troisième fille du couple, ma maman, Michelle Reau, le 3 avril 1934.
Les liens familiaux ne sont pas distendus. On s’écrit, on se rend visite. J’ai la chance d’avoir un nombre important de photos prises à cette époque, quand des oncles d’Achille ou ses parents, ou la mère de Marie Rose, viennent à Paris.
Et bien sûr pendant les congés d’été tout le monde descend à Latillé et rend visite à la famille dans les fermes autour d’Ayron et Chalandray.
Mais cette période familiale calme n’a qu’un temps.
La guerre arrive. Achille est promu sous-lieutenant le 1er septembre 1939. La famille était en vacances à Latillé au moment de l’entrée en guerre et reste sur place, chez la mère de Marie-Rose, en attendant. D’abord affecté au centre d’organisation motocycliste et de découverte à Monthléry, Achille rejoint ensuite le 12e régiment de cuirassiers le 1er janvier 1940 comme officier de détail. En permission lors de l’attaque allemande, il rejoint son régiment en Belgique, est évacué de Dunkerque et revient deux jours plus tard dans le Cotentin. Au moment de l’armistice, il est avec le 12e régiment de cuirassiers du côté d’Angoulême. Marie Rose et les filles sont restées à Latillé pendant toute la durée de cette campagne de France.
Le 15 novembre 1940, Achille est mis en « congé d’armistice » et retrouve par obligation la vie civile, mais en continuant de travailler pour l’armée. Il est alors affecté à l’école de cavalerie d’Hussein Dey, en Algérie et embarque, seul, à Port Vendres, le 22 février 1941, à destination d’Alger.
Latillé est en zone occupée, mais on peut encore franchir la ligne de démarcation en obtenant les papiers nécessaires. Je ne sais pas comment Marie Rose les a obtenus, mais je l’imagine mal passer en cachette la ligne de démarcation, avec trois petites filles entre 6 ans et 13 ans.
A Alger
Le 5 mars 1941, la famille est réunie à Alger. Marie-Rose envoie une carte de correspondance de guerre à sa mère à Latillé.
5 mars 1941 – Sommes en bonne santé – Avons fait bonne traversée – Françoise et Monique seules ont été malades, Michelle s’est bien amusée sur le pont – Avons retrouvé Achille en bonne santé.
Désormais, c’est ainsi que Marie-Rose va communiquer avec sa mère. Les nouvelles de part et d’autre sont rares. Alors que jusqu’à présent Marie-Rose et sa mère continuaient à se voir régulièrement, malgré la distance, cette fois ci la guerre et la mer ont séparé les deux femmes.
La famille s’installe dans le quartier de la Redoute, à cheval sur les communes d’Alger et de Birmandreis, chemin Abd del Khader. Il y a un jardin, et de l’autre côté du mur, une autre famille avec quatre enfants, trois garçons et une fille. La vie est différente sous le soleil d’Alger, une ville à laquelle Achille s’attache.
En octobre 1942, Marie-Rose met au monde un garçon, qui sera baptisé quelques semaines plus tard à l’église Sainte-Anne de la Redoute, la paroisse dont dépend la famille.
Le lieutenant Reau appartient désormais au 5e régiment de chasseurs d’Afrique – celui dans lequel mon arrière grand-père paternel, Jean Joseph Billard, avait servi à Alger en 1895. Avec son régiment, Achille embarque à Mers El Khebir le 9 août 1944 pour participer au débarquement en Provence et à la libération de la France. Il ne revient à Alger que presque deux ans plus tard, le 24 mai 1946.
Pendant son absence, Marie-Rose est restée seule, loin de sa famille, avec ses quatre enfants.
A son retour en Algérie, Achille, qui a de très beaux états de service, est promu capitaine à Noël 1946. Il a 42 ans et un dossier élogieux, une suite de carrière probable brillante dans l’armée pour ce fils de paysan, parti de chez lui avec un bagage scolaire réduit, et qui occupe désormais des fonctions à responsabilité dans les services d’intendance militaire.
En avril 1948 il est envoyé en qualité de major à l’école préparatoire militaire de Miliana, dans le sud du pays. Il y part seul, laissant sa famille continuer à habiter à la Redoute. Il y arrive le 15 avril 1948, mais assez rapidement il tombe malade, au point d’être transféré le 23 juin 1948 à l’hôpital Maillot, l’hôpital militaire d’Alger, où il meurt le 29 juin 1948, à 7 heures du matin. Il venait d’avoir 44 ans un mois plus tôt.
Marie Rose a eu 40 ans au mois de mars, c’est une jeune veuve, mère de quatre enfants dont l’ainée a 20 ans et le plus jeune pas encore 6 ans. Seule, elle va rester à Alger, où son époux est inhumé au cimetière Saint-Eugène, et trouver un travail d’appoint pour élever ses enfants, malgré l’éloignement de sa mère et de ses beaux parents.
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